Les managers, le leadership et Steve Jobs

J’ai mis la main sur ce que je crois être une belle pépite du Web : une entrevue de Steve Jobs datant de 1985, c’est-à-dire aux débuts de la commercialisation du premier Macintosh. Son intérêt ? Le trentenaire à la tête d’Apple y parle – tenez-vous bien! – de management et de leadership; et ce, de manière carrément… révolutionnaire. 

 

Le vidéo correspond à un reportage présentant l’esprit start-up d’Apple, la petite firme de Cupertino qui osait défier le géant d’alors, IBM. Un reportage qui mérite d’être visionné de bout en bout, ne serait-ce que pour sourire en coin devant l’explication de ce qu’est une souris, ou encore devant les incroyables lunettes de l’époque. Mais surtout, un reportage qui prend toute sa saveur dans les extraits allant de 2:42 à 4:35 et de 7:23 à 7:58, où Steve Jobs dévoile sans fard ce qu’il pense être la meilleure façon de diriger une équipe. Regardons ça ensemble…

«Avec les années, Apple s’est mis à grandir si bien qu’on a fini par se dire « Hey, nous sommes en train de devenir une grande entreprise! ». Il nous faut embaucher des professionnels du management », raconte Steve Jobs. C’est ce que nous avons fait, nous avons embauché des managers. Mais ça n’a rien donné du tout. Pourquoi? Parce qu’ils n’étaient que des clowns.»

Apple avait-il fait une erreur dans son opération de recrutement? Pas du tout. «Le problème, ce n’était pas qu’ils ne savaient pas gérer une équipe, explique-t-il. Ils le savaient parfaitement. Le hic, c’était qu’ils n’étaient en rien des leaders inspirants : ils géraient l’équipe au lieu de la propulser.»

Qu’est-ce à dire, au juste? C’est très simple : les managers en question se contentaient, classiquement, de commander et de contrôler, alors que Steve Jobs s’attendait à ce qu’ils comprennent les membres de leur équipe, les soutiennent dans leur travail quotidien et, le cas échéant, les conseille. Autrement dit, il ne voulait surtout pas de « petits chefs », mais de « véritables leaders », à savoir des personnes qui se mettent au service des talents de leur équipe, qui se mettent en quatre pour donner la possibilité à chacun de déployer son plein potentiel; et ce, toujours dans l’optique d’atteindre un but commun.

«Chez Apple, nous ne recrutons que la crème de la crème, dit Steve Jobs. Quand vous mettez ensemble dix personnes de ce calibre-là, elles trouvent par elles-mêmes la meilleure façon de gérer le groupe. Pas besoin, par conséquent, de lui greffer un manager qui leur dira quoi faire et comment faire.»

Et d’enfoncer le clou : «Les bons employés savent se gérer eux-mêmes. Ils n’ont pas besoin d’être encadrés. Une fois qu’ils ont saisi ce qu’on attendait d’eux, ils le font sans qu’on ait à leur dire comment s’y prendre.»

Le cofondateur d’Apple précise sa pensée : «L’important est d’agir en visionnaire, dit-il. Car l’essence du leadership, c’est avoir une vision, être capable de la communiquer aux autres et obtenir un consensus à son sujet afin d’en faire une vision commune.»

L’idée est donc d’être «un grand contributeur au succès de l’équipe» : «Les meilleurs managers sont ceux qui ne voulaient aucunement devenir manager, mais qui n’ont pas trouvé d’autre personne plus douée qu’eux-mêmes pour occuper cette fonction», dit-il.

C’est d’ailleurs comme ça que, lui-même, en est venu à accomplir une tâche qu’il ne pensait jamais avoir à accomplir au sein d’Apple : «J’ai fini par réaliser que la tâche la plus importante pour quelqu’un comme moi était de recruter», confie-t-il. Oui, celui que tout le monde perçoit aujourd’hui comme «un génie», «un pionnier de l’informatique», ou encore – que sais-je? – «un entrepreneur visionnaire» était, en vérité, «un champion de l’embauche»! Telle est la clé secrète de sa réussite. Ni plus ni moins.

Steve Jobs avait un don pour bien s’entourer, et c’est cela qui lui a permis de voler de succès en succès. Il a su déceler la plus grande contribution qu’il pouvait apporter à Apple – le recrutement –, et s’est concentré là-dessus, pour le bien commun. Ce faisant, il s’est mis au service du groupe, et n’a surtout pas cherché à ce que le groupe se mette à son service; une nuance qui a fait toute la différence. Il a ainsi agi en « véritable leader », et non pas en « clown ».

Voilà. Ce vidéo est lumineux. Il montre que même en matière de management Steve Jobs avait un temps d’avance sur tout le monde. À la fin du 20e siècle, il décrivait déjà ce que serait le management de ce début de 21e siècle. Pas de doute possible, il était bel et bien un visionnaire.

Allez-vous, à présent, vous inspirer des propos de l’homme qui a mené Apple à des sommets vertigineux? Allez-vous, chers managers, avoir le cran de l’écouter, d’envisager une minute l’éventualité que vous avez agi, des années durant, comme un « clown », puis de prendre la ferme décision de vous transformer en « véritable leader »? Ou allez-vous, une fois de plus, considérer que les employés dont vous avez la responsabilité ne sont que de « grands enfants indisciplinés et incompétents » qui ont besoin d’une « autorité parentale » pour les faire travailler? Et donc, continuer d’enregistrer les piètres résultats que vous affichez, vous et les vôtres, depuis nombre d’années? À vous de voir…

En passant, Steve Jobs disait également : «Chez Apple, nous n’embauchons pas des gens pour leur dire quoi faire, mais pour qu’eux nous disent quoi faire».

Un article de Olivier Schmouker à relire ici

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