La « raison d’être » de l’entreprise rebat les cartes du jeu concurrentiel

Avec la loi Pacte, publiée le 23 mars 2019, l’entreprise doit définir son rôle au-delà de la sphère économique. Shutterstock

En définissant la « raison d’être » de l’entreprise, les dirigeants déterminent l’ambition d’utilité sociale qu’ils souhaitent poursuivre. C’est l’expression de ce qui est « indispensable pour remplir l’objet social » et apporter des réponses concrètes aux défis sociaux, environnementaux et économiques contemporains.

L’entreprise formule un énoncé concis en une ou deux phrases, pour une compréhension immédiate par le plus grand nombre de l’engagement pris.

Cette formulation, en devenant juridique, impose de traduire la raison d’être en objectifs précis et de se doter des moyens pour en contrôler la mise en œuvre.

Un mouvement de refondation de l’entreprise

La multinationale alimentaire française Danone a ainsi résumé sa raison d’être au travers de cette formulation : « Apporter la santé par l’alimentation au plus grand nombre » et s’oblige à organiser collectivement son activité inventive pour rendre concrète cette contribution.

Sur son site Internet, le groupe explique en quoi son modèle d’innovation est le fruit d’un processus plus ouvert impliquant des partenaires et des consommateurs. La firme se présente au service de marques dites engagées qui poursuivent un engagement fondé sur des enjeux sociaux, de santé et/ou environnemental tout en générant une croissance durable et rentable.

Danone présente sa raison d’être (Danone, 2018).

De son côté, la SNCF a défini d’une manière simple et explicite des défis sociaux et environnementaux que le groupe souhaite combler. La raison d’être de l’entreprise ferroviaire : « apporter à chacun la liberté de se déplacer facilement en préservant la planète ».

C’est au travers de son rapport d’engagement sociétal 2018 que la SNCF précise ses objectifs, actions et indicateurs qu’elle a choisi de s’attribuer pour traduire concrètement la mise en œuvre de sa raison être. En inventant autour du train, colonne vertébrale de l’entreprise, de nouvelles formes de mobilité, la SNCF pense pouvoir apporter aux voyageurs la possibilité de se déplacer facilement et efficacement.

Le Groupe SNCF : apporter à chacun la liberté de se déplacer facilement en préservant la planète (SNCF, 2018).

Ces deux exemples illustrent bien ce que peut être la contribution d’une entreprise aux biens communs. La raison d’être élargit le rôle de l’entreprise au-delà de la sphère économique et l’engage dans un processus de résolution de problèmes aux côtés des États-nations, des associations et des organisations non gouvernementales (ONG). Les collaborations et les partenariats multipartites peuvent devenir une solution pour l’intérêt collectif.

Or, la notion de raison d’être de l’entreprise risque d’être dévoyée et affadie, non seulement par les maladresses et incompréhensions propres à l’adoption de toute nouveauté conceptuelle, mais aussi, plus fondamentalement, par une incorporation de la raison d’être dans un jeu concurrentiel classique alors même que le concept rebat les cartes du jeu concurrentiel lui-même : la loi Pacte, publiée en mai 2019, qui porte la réintroduction de la raison d’être, s’inscrit dans un mouvement plus large de refondation de l’entreprise et de réexamen de la nature de sa contribution à la société. Utiliser la raison d’être comme un simple moyen de différenciation entre concurrents, c’est donc passer à côté des enjeux.

Une concurrence au service du bien commun

Les règles habituelles du jeu concurrentiel, en regard du modèle classique de recherche de profit comme objectif central, sont encore aujourd’hui une référence. Autrement dit, cette culture de la concurrence constitue toujours une « matrice de conception » redoutable des stratégies et, au-delà, d’objets managériaux aussi fondamentaux qu’une raison d’être. Assistons-nous à l’émergence d’une nouvelle logique de marché au service du bien commun ?

C’est bien la culture même du jeu concurrentiel qui évolue avec la raison d’être. En développant un partenariat de R&D en vue de développer des bouteilles 100 % bio-sourcées, Nestlé Waters, Origin Materials, Danone et PepsiCo participent à la réinvention des biens communs de demain.

Il ne s’agit pas de constituer un « marché de la vertu », pour reprendre l’expression du professeur d’éthique des affaires David Vogel. Une forme de jeu concurrentiel propre au marché demeure pour stimuler l’innovation au service d’un futur désirable et souhaitable pour tous, mais sans compétition sur des raisons d’être.

Assistons-nous à l’émergence d’une nouvelle logique de marché au service du bien commun ? Fizkes/Shutterstock

Nous pouvons nous réjouir de la dynamique enclenchée par la loi Pacte : celle du réexamen de la nature profonde de l’entreprise en replaçant cette dernière au cœur des enjeux de notre société. La notion de raison d’être invite au rassemblement, à la cohésion collective et transforme le jeu concurrentiel pour l’intérêt de tous.The Conversation

Albert David, Professeur de Management, Université Paris Dauphine – PSL et Nathalie Gimenes, Présidente BE-CONCERNED Docteure en sciences, Enseignante, Université Paris Dauphine – PSL

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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