Fabrice Luchini : le pouvoir d’un mot

Braves gens, prenez garde aux choses que vous dites !
Tout peut sortir d’un MOT qu’en passant vous perdîtes.
TOUT, la haine et le deuil ! Et ne m’objectez pas
Que vos amis sont sûrs et que vous parlez bas. 

Ecoutez bien ceci :
Tête-à-tête, en pantoufle,
Portes closes, chez vous, sans un témoin qui souffle,
Vous dites à l’oreille du plus mystérieux
De vos amis de coeur ou si vous aimez mieux,
Vous murmurez tout seul, croyant presque vous taire,
Dans le fond d’une cave à trente pieds sous terre,
Un MOT désagréable à quelque individu. 

 

Ce MOT – que vous croyez que l’on n’a pas entendu,
Que vous disiez si bas dans un lieu sourd et sombre –
Court à peine lâché, part, bondit, sort de l’ombre ;
Tenez, il est dehors ! Il connaît son chemin,
Il marche, il a deux pieds, un bâton à la main,
De bons souliers ferrés, un passeport en règle ;
Au besoin, il prendrait des ailes, comme l’aigle !
Il vous échappe, il fuit, rien ne l’arrêtera ;
Il suit le quai, franchit la place, et caetera
Passe l’eau sans bateau dans la saison des crues,
Et va, tout à travers un dédale de rues,
Droit chez le citoyen dont vous avez parlé.
Il sait le numéro, l’étage ; il a la clé,
Il monte l’escalier, ouvre la porte, passe, entre, arrive
Et railleur, regardant l’homme en face dit :
« Me voilà ! Je sors de la bouche d’un tel. »  

Et c’est fait. Vous avez un ennemi mortel.  

Victor Hugo, Toute la Lyre 

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