Le rendez-vous raté de Nicole & Jimmy 

Combien de « Nicole Kidman »​ avez-vous croisées ou ignorées dans votre vie ?

La vidéo ci-après est un grand moment de TV. Mais bien plus que cela, elle illustre les quelques grandes décisions que l’on prend dans sa vie … et toutes celles qui sont « prises » sans que l’on en soit conscient. Chacun a ses moments « Andy Warhol ». Mais on a aussi des moments « Nicole Kidman ». Ce post propose un peu de recul par rapport à ces embranchements qui font la Vie.

La vie est étrange. Les vies plutôt si on prend une perspective un peu plus large pour intégrer dans un tout les vies intimes, familiales, professionnelles, spirituelles … Et cette vie, avec un tout petit peu de recul et d’heures de vol, se compose pas seulement comme un tableau avec de multiples touches de peintures mais beaucoup plus comme une dizaine d’éléments forts qui la composent, la structure, lui donne une singularité que les autres n’ont pas et la rend unique. 

La plus belle illustration qui m’en a été donnée récemment est ce show dont les américains sont friands et qui n’a pas d’équivalent en France. La vidéo est ci-dessous, je vous la laisse découvrir. Si le temps vous manque (4 minutes tout de même sur les 42 millions d’une vie ; ) une synthèse de l’histoire est juste en dessous.

L’histoire : Jimmy Fallon invite Nicole Kidman. Il lui annonce qu’ils se sont déjà rencontrés il y a bien longtemps et qu’elle ne s’en souvient certainement pas. En fait c’est tout le contraire. Nicole Kidman se souvient de l’appartement où ils se sont retrouvés par l’intermédiaire d’un ami, partage qu’elle l’aimait bien et qu’ils auraient pu aller bien bien plus loin ensemble. 

Immense choc pour Jimmy Fallon. C’est toute une vie parallèle possible, mais passée, qui lui est révélée soudainement. Sa réaction, un peu surjouée mais je pense authentique, est à la hauteur de ce pan de vie virtuelle qu’il a loupé. Et on ne peut s’empêcher de penser qu’après tout 

il y avait les « 15 minutes de célébrité dans une vie » annoncé par Andy Warhol, n’y a-t-il pas les « occasions Nicole Kidman » pour chacun d’entre nous dans une vie ?

 … que ces occasions soient personnelles ou professionnelles d’ailleurs. A ce titre, l’audace de Ségolène Royal qui se présente à Mitterand lors d’une réception à l’Elysée n’a pas d’égal en terme de culot et surtout en terme de conséquence sur une vie … (minute 16’41 sur la vidéo suivante : https://www.youtube.com/watch?v=5Qd4-7wkw-Q

Et on a tous ces souvenirs plus ou moins vagues d’un « ah si j’avais osé » ou « si j’avais su que … ». 

J’ai regardé 3 fois cette séquence avec Kidman. Et 3 fois la même émotion est venue. Quelque chose de profond qui m’a amené à réfléchir depuis. Et je pense avoir trouvé la grille pour approfondir les affects et les éléments en jeu, en action, en mouvement interne. Et c’est bien chez Abraham Maslow que j’ai trouvé une explication possible.

Pourquoi Maslow ? Le pauvre homme est bien souvent réduit à une pyramide. Tellement symptomatique de notre époque de vouloir simplifier, réduire, classer, équeuter, … quitte à passer à côté de belles oeuvres utiles pour beaucoup et essentielles pour quelques-uns. Au cas où vous n’auriez pas été sur Terre (Interstellar et The Martian laissent des traces ; ) ou cryogénisé au cours des 50 dernières années, je vous rappelle cette pyramide des besoins.

Mais l’oeuvre de Maslow est beaucoup plus large que cela. Par exemple toute sa recherche sur les moments paroxystiques de la vie est juste remarquable. Il est parti du constat qu’il nous arrive à presque tous de vivre des moments paroxystiques (extase, coup de foudre, sortie de corps, NDE, naissance …), ces moments qui ne ressemblent à aucun autre et qui renvoient tout le reste de la vie à un ordinaire presque insupportable ou au moins plat et sans relief. Et il relève ce que l’on pourrait qualifier de paradoxe de Maslow : ce sont ces moments-là, pour les individus touchés, qui sont déterminants pour les choix ou les orientations futures. Et ce n’est pas plus de 2% d’après toutes les études et suivis qu’a pu faire Maslow.

Le paradoxe de Maslow = les moments paroxystiques

D’où viennent ces moments, de quoi sont-ils faits, comment les explique-t-on, qu’elles en sont les conséquences ? Je vous renvoie à la lecture à un de ses livres, L’accomplissement de soi, où une part belle est faite au chemin qu’il est possible de parcourir pour atteindre une plénitude et une sérénité uniques. Et elles sont en général la plus belle des réponses et préparation à la fin de vie et à l’acceptation de la mort comme d’un simple passage vers un épisode suivant. Ou pas.

Mais le propos du post est d’aller un peu plus loin. Notamment en forçant la prise de recul, en appuyant un regard clinique (au sens de « examen du patient alongé sur son lit » – lit qui se dit κλινη/klin en grec) sur sa vie et les séquences qui la compose, en exploitant la maturité apportée par les années aidants, en répétant ce « zoom avant-zoom arrière » pour regarder l’enchainement des détails, les replacer dans leur cadre global et comprendre les forces à l’oeuvre.

Etre un homme, ce n’est pas vivre, c’est questionner la vie.

Et une question particulière peut aider. Ou plus précisément, une mise en situation avec une question. La situation est simple : c’est 10 minutes avant de mourir. Vous jetez un dernier regard sur votre vie, sur ce que vous en avez fait ou bien ce que vous avez laissez les autres en faire. Et vous vous posez cette question anodine « qu’ai-je décidé dans ma vie ? » ou une autre plus préparatoire : « quels sont les quelques embranchements qui ont changé ou façonné ma vie ? »

Une feuille de papier, listez les embranchements de votre vie. 

L’exercice est riche car vous êtes devant un résumé de vie qui n’est pas un CV classique mais un vrai « résumé » de passage sur terre. Avant le passage sous terre ou dans les airs. Et vous allez découvrir si vous êtes un passant, un passager, un passeur, un passé, un passif, un passe-temps, un passe-muraille …

Un peu de tri, un peu d’ordonnancement et ce sont une dizaine de branches qui vont rester, une dizaine de carrefours qui résument votre vie … Une rencontre, une ou des décisions de changement de travail, une formation, un voyage, un accident, un hasard apparent, une ou plusieurs naissances, une mort, … A chaque fois, c’est la source de tout un pan de la vie qui est initié. Et c’est toute la trame de votre vie, apparente ou pas qui s’affiche soudainement.

Le passionnant commence : 

Combien de ces directions ont-elles été décidées, choisies ? En général bien peu. Même avec toute la rationalité apprise sur les bancs d’école et prônée par nos comportements professionnels américanisés (on est sur LinkedIn …), le constat est là, les embranchements apparus et choisis ne l’ont pas été sur une base factuelle.

Un exemple parmi d’autres de cette profonde irrationalité à l’oeuvre durant toute la vie : le mariage. Evènement de vie s’il en faut. Il a forcément été listé comme embranchement avec le déclenchement de bien d’autres évènements par la suite. Mais restons sur le mariage. Comment s’est-il décidé dans votre tête ? Une liste a été faite avec les avantages et inconvénients ? Un process a été défini et suivi ? Une pondération des critères de choix a-t-elle été envisagée ? Non ? Comme c’est étrange ! En fait la décision a été formulée comme une évidence, une conséquence inéluctable d’un vécu quotidien.

Que les choses soient claires. Il ne s’agit pas de dire si c’est bien ou pas. Je partage une réflexion que je peux avoir quand il y a rencontre avec un autre être humain :

Y-a-t-il un pilote dans cet avion avec qui je parle ?

Ce navire est-il en pilote automatique avec une adaptation réflexe aux changements de temps ou aux grosses vagues ? Les deux ou trois derniers choix sont-ils des choix d’un égo ou d’un surmoi qui écrase tout ? Est-il en phase de prise de contrôle ou bien sur son erre ? Est-il guidé par un nord géographique ou un nord magnétique qui bouge sans cesse et se trouve dévié par toute grosse masse métallique ? Vit-il par procuration au travers de l’expérience des autres pour sublimer sa pauvre vie (exemple vécu d’un grand chroniqueur du Monde qui racontait les aventures des plus hauts sommets de la terre mais qui était malade à partir de 4000 mètres) ?

Vous voyez l’application immédiate à l’univers professionnel et au rôle clé qu’il tient dans nos vies. Le mot « résumé » est presque un symbole à lui tout seul. Et « curriculum vitae » l’est encore plus car c’est bien de « résumé de vie » dont on parle et pas simplement pour la partie professionnelle. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai pris juste au-dessus un arbre avec une scission principale du tronc mais avec un rapprochement par la suite : chemin faisant, les années passants, les deux peuvent se rapprocher et moins diverger qu’initialement. Cette prise de conscience et d’une certaine manière de reprise en main de sa destinée est un énorme signe de maturité personnelle que l’on ne rencontre que bien rarement dans les entretiens d’embauche tellement pré-formatés.

Et si vous avez le sentiment de reconnaître l’image choisie ci-dessus, ce n’est pas par hasard … c’est une image sortie du film « Tree of life », de Terrence Mallick. Très beau film, doté de cette capacité à faire résonner et amplifier ses états de grâce intérieurs (comme The Hours issu du livre éponyme de Virginia Woolf) . Bien sûr descendu par les critiques de films. Les même qui ont massacré l’excellent Lucy, le dernier film de Luc Besson.

Une phrase me vient pour eux (Sacha Guitry) qui me semble être la phrase que l’on ne souhaiterait pas avoir comme épitaphe ni avoir comme réponse à la question initiale de ce post « Qu’ai-je fais de ma vie ? », la fameuse question cinq minutes avant de mourir (adaptée car lui parlait de son épouse divorcée et au présent) :

Ce qu’il a eu de plus profond, cela a été son sommeil.

Et c’est peut-être ce qui est arrivé à Jimmy lors de cette première rencontre, gentiment endormi dans ses préoccupations du jour ou en fuite par rapport à l’éventualité d’une vie totalement autre que celle dans laquelle il était. 

Et je ne peux que vous laisser avec cette question aussi simple mais vertigineuse et profonde que peut l’être une vie : combien de « Nicole » cette année ?

Publié par le 20 janvier 2016 par Pierre Paperon sur LinkedIn : Combien de « Nicole Kidman »​ avez-vous croisées ou ignorées dans votre vie ?

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