Des forces intérieures, conscientes et inconscientes, convergent pour nous garder en vie, assure le psychiatre Patrick Clervoy. Selon lui, chacun peut stimuler ces ressources, à la croisée du corps et de la psyché.
Patrick Clervoy est professeur de psychiatrie.
Sciences et Avenir : Vous affirmez que la guérison est un processus actif et soutenez l’hypothèse que le corps possède un système guérisseur. Qu’entendez-vous par là ?
Patrick Clervoy : La notion d’une force thérapeutique interne a été identifiée dès les débuts de la médecine. Hippocrate mettait la puissance curatrice de la nature au centre de la guérison, avec l’idée que nous portons en nous une force active qui fait renaître le corps chaque jour. Ambroise Paré, père de la chirurgie moderne, a pu dire : « Je le pansai, Dieu le guérit ». La métaphore de cette puissance de guérison est la plaie cutanée. Le chirurgien se contente de recoudre, et dans l’organisme se produisent toute une série d’opérations qui stoppent l’hémorragie et reconstruisent les tissus. L’énergie guérisseuse, c’est celle que vous observez quand vous rapprochez les deux bords de la plaie : en quelques jours, celle-ci se referme. Parce que nous sommes vivants, nous sommes animés de systèmes d’une grande complexité qui font que toutes nos ressources, psychosomatiques, conscientes et inconscientes, convergent pour nous garder en vie. Le système guérisseur est l’ensemble des forces qui nous maintiennent en bonne santé. Et elles sont puissantes.
La guérison prend parfois des tournures spectaculaires. Pouvez-vous nous citer un exemple ?
Certaines guérisons miraculeuses sont très documentées. En 1892, le professeur Charcot envoie Émile Zola à Lourdes afin de rendre compte de cas de guérison spontanée. L’écrivain raconte comment la jeune Marie Lemarchand guérit en quelques heures de sa tuberculose pulmonaire, qui lui donnait des ulcères au visage et aux jambes. Il rapporte aussi des cas de reconstruction du tissu cutané en quelques minutes. Je suis convaincu que les exercices psycho-corporels et la spiritualité augmentent les forces physiques. Dans ma pratique, j’évalue en permanence les capacités spirituelles de mes patients. S’ils en ont, je les accompagne bien plus facilement dans la guérison.
Le psychisme joue-t-il également un rôle dans le déclenchement des pathologies ?
Quand j’étais étudiant, l’un de mes enseignants est mort vers la cinquantaine. On lui avait découvert une tache au niveau des poumons. Mais il n’est pas mort d’un cancer il n’en avait pas, en réalité. Il a succombé, en quelques mois, à l’état de désarroi psychologique consécutif à l’annonce d’un possible cancer. Lorsqu’on est déprimé, on est déprimé psychique, mais également immunodéprimé, susceptible de déclencher bien davantage de maladies.
Qu’en est-il des maladies auto-immunes ?
Les individus dont les globules blancs sont porteurs de l’antigène HLA B27 sont prédisposés à certaines maladies inflammatoires chroniques : la maladie de Crohn et la rectocolite hémorragique dans la sphère digestive, le psoriasis et l’eczéma pour ce qui concerne la peau, le lupus au niveau du système nerveux et, pour les articulations, les polyarthrites et les spondylarthrites ankylosantes. Lors d’un stress aigu, ils développent une réponse inflammatoire surdimensionnée. Ils brûlent leurs tissus, leur immunité se dégrade. Leur prise en charge mobilise la pharmacologie (antidépresseurs), mais aussi des approches plus générales, notamment psychologiques, comme l’hypnose. Pour ma part, je les aide à travailler l’image mentale qu’ils se font de leur corps. La guérison, c’est une réconciliation. Il faut aider le patient à se représenter le corps apaisé, à produire les gestes qui vont le réconcilier avec l’organe qui dysfonctionne.
Chacun bâtit cette représentation mentale tout au long de sa vie. Comment se développe-t-elle ?
L’image mentale du corps se construit à la croisée du langage et des sensations tactiles, notamment par la façon dont l’enfant est enveloppé de soins par sa mère, dont celle-ci nomme les parties de son corps. Il associera par exemple une sensation tactile agréable au niveau du pied avec une caresse, un bisou, au nom du pied que sa mère prononce. Les enfants abandonnés ou souffrant de carences affectives sont bien plus fragiles, parce qu’ils n’ont pas la capacité de se créer cette image mentale. Ils auront plus de difficultés à penser la guérison, simplement parce qu’ils ne savent pas penser leur corps. Dans les années 1930, le neurochirurgien canadien Wilder Penfield a découvert que le cerveau abrite des aires de représentation du corps. Il en a identifié deux, l’homunculus moteur dans l’aire pariétale, qui commande le mouvement des muscles, et l’homunculus sensitif dans l’aire frontale, qui recueille les informations sensibles du corps (toucher, chaleur, douleur ). Un exemple caricatural de cette image mentale est le membre fantôme : vous pouvez perdre votre bras dans un accident, vous continuerez à le percevoir. Ce phénomène serait lié à la persistance de la projection du bras dans l’image du corps. Dans le cas des greffes, il faut accompagner le patient pour qu’il intègre dans son image corporelle un organe étranger, provenant d’un mort, et qui doit devenir le sien. Beaucoup de greffés ont l’idée qu’ils sont responsables de cet organe, et que la personne à laquelle il appartenait auparavant serait heureuse de savoir qu’il fait désormais partie d’un autre corps.
L’imagination et le corps seraient intimement liés ?
Je suis fasciné par le phénomène psychosomatique. Descartes disait : une chose est soit psychique, soit corporelle. Quel malheur ! En fait, c’est toujours mêlé. Il n’y a pas de manifestation psychique qui ne relève pas du corps, et réciproquement. Ce qui est génial dans les approches psychosomatiques, c’est que si l’on s’occupe d’un endroit du corps, on peut aider le patient à construire une image mentale grâce à laquelle il aura moins mal. Par l’hypnose, par exemple, il peut s’auto-hypnotiser, anesthésier sa main opérée pour ne plus ressentir la douleur. Un illustre exemple de cette importance de l’imagination, c’est la pratique médicale de l’autosuggestion consciente développée par le pharmacien Émile Coué, qui a connu un immense succès au début du siècle, avec un bénéfice thérapeutique énorme. Cette méthode s’appuyait sur le pouvoir de l’imagination : pour guérir, il faut d’abord imaginer que l’on peut guérir. Elle est tombée en désuétude après la Première Guerre mondiale et les blessures atroces que celle-ci a engendrées. Mais cette croyance en la suggestion se perpétue sous le nom de pensée positive.
L’effet placebo opère-t-il justement au carrefour de ces puissantes relations entre processus physiques et psychiques que vous pointez ?
L’effet placebo, c’est l’effet thérapeutique observé en l’absence de médicament ou de substance active. Il se produit avant qu’on en ait conscience et ajoute la force de guérison à l’effet d’un médicament. L’imagerie cérébrale montre que les mécanismes alors à l’œuvre utilisent des voies nerveuses qui court-circuitent la conscience. Mais l’effet placebo opère également en toute conscience : même si l’on sait que l’on prend une substance sans propriété pharmacologique, le fait de prendre ce rien aide à la guérison. Selon la chercheuse américaine Kathryn Hall, cette aptitude serait liée à un ensemble de dispositions génétiques qu’elle baptise placebome, les réponses placebo des patients étant corrélées à un gène codant pour une enzyme impliquée dans la synthèse de la dopamine, parfois appelée « hormone du plaisir ». Les personnes les plus aptes à guérir spontanément présentent un taux de dopamine disponible bien supérieur. Je pense que cette disposition a un caractère épigénétique. Celui qui apprend à guérir en stimulant ses ressources internes, au moyen de l’autosuggestion par exemple, peut inscrire cette aptitude dans son patrimoine génétique. Laquelle se transmet sur trois générations !
Propos recueillis par François Folliet
Cet article est issu du magazine Sciences et Avenir – Les Indispensables n°207, daté octobre/ décembre 2021.