L’émoi suscité par l’émission de France Inter, diffusée en novembre 2018, sur « les dérives du coaching », met en exergue l’enjeu de la professionnalisation des coachs. Dans ce secteur en pleine expansion, la certification par les associations professionnelles (ICF, SF Coach…) ou écoles est un premier pas, mais elle n’est pas suffisante à la formation de professionnels compétents. Ceux-ci ont besoin de s’ouvrir à des approches leur permettant de mieux comprendre les contextes dans lesquels ils interviennent et d’instruire les dilemmes et tensions qui surgissent de leur pratique.
Un management centré sur le psychique
Le formidable essor du marché du coaching est à mettre en regard de l’appétence à la réflexivité des sociétés contemporaines. La réflexivité, c’est pouvoir réfléchir sur soi-même, se prendre comme objet d’analyse et de connaissance pour améliorer ou infléchir sa capacité à agir. Dans le monde du travail, la montée des incertitudes, des épreuves, des bifurcations et reconversions, active cette appétence à la réflexivité pour se (re)positionner et agir. Le coaching se présente comme un dispositif de réflexivité pour autrui, visant à soutenir et étayer cette demande sociale.
Pour autant, et c’est en cela que son expansion est paradoxale, le coaching court aussi le risque de participer à « l’obligation de réflexivité » qui caractérise un management centré non plus, comme dans le taylorisme, sur le contrôle et la discipline des corps, mais sur le psychique. Il s’agit à présent de mobiliser les subjectivités pour produire une adhésion des individus aux normes et valeurs organisationnelles.
Dès lors, trois critiques alimentent de manière récurrente les analyses sociologiques du coaching. La première met l’accent sur la psychologisation des rapports de travail, où les difficultés et problèmes sont lus sous un angle qui met uniquement l’accent sur la personnalité, au détriment d’une lecture plus organisationnelle. La seconde alerte sur l’intériorisation des contraintes, des normes d’efficacité et de performance à laquelle contribue le coaching. La dernière souligne la déconflictualisation des rapports de travail que produisent ces dispositifs, en évitant de questionner les pratiques managériales qui sont à la source des problèmes vécus dans le travail.
C’est ainsi que la réflexivité pour soi intervient comme une compétence nécessaire pour construire une posture de coach et développer la pratique professionnelle.
La réflexivité comme compétence
Les métiers à forte composante relationnelle (formation, éducation, santé, travail social, etc.) ont tous intégré, depuis une vingtaine d’années, la réflexivité comme compétence distinctive, dans leurs référentiels métier comme dans leurs dispositifs de formation.
Les professionnels des métiers relationnels sont toujours pris entre un mandat qui leur est confié par leur institution (l’école, l’hôpital, l’entreprise, etc.) et une demande qui est celle de la personne accompagnée. Cet entre-deux provoque inévitablement des décalages, des questionnements, des incertitudes, que la stricte application des savoirs acquis en formation ne peut résoudre. La compétence professionnelle tient à une capacité à s’ajuster en situation aux aléas, imprévus, évènements qui se déroulent, bref aux incertitudes de la relation, pour résoudre les problèmes pratiques qui surgissent. La compétence se joue aussi dans l’après-coup, dans une analyse rétrospective de l’action permettant d’identifier les savoirs professionnels implicites, tacites, cachés, que le professionnel a mobilisés en situation.
La professionnalisation du coaching et la limitation de certaines dérives passent par ce travail réflexif concernant différentes dimensions de la pratique. Les coachs gagneraient tout d’abord à décrypter les contextes d’organisations dans lesquels ils interviennent et à en reconstituer les logiques politiques, culturelles et systémiques. Cette opération de diagnostic pour soi invite à élargir les référentiels d’analyse mobilisés, pour leur permettre de traiter les questions suivantes : jusqu’où le diagnostic de la situation est-il pertinent ? Les problèmes désignés comme nécessitant un accompagnement par le mandataire sont-ils réellement purement individuels ? Si le problème est plus collectif ou institutionnel, que comprend-on de ses différentes dimensions ?
Préserver la « bonne distance »
La construction et le maintien au long cours d’une position de tiers invitent également à un questionnement spécifique. Il portera sur les relations dans lesquels le coach est pris et sur ses marges de manœuvre et d’action pour construire et maintenir un positionnement à équidistance de l’ensemble des acteurs. Ce travail réflexif démarre dès les premières rencontres au cours desquelles la commande est adressée au coach : au-delà de la commande telle qu’elle se présente initialement, que comprend-on des demandes sous-jacentes ? Quelles sont les attentes des uns et des autres à l’égard d’un coaching ? Ces demandes convergent-elles ? Et si ce n’est pas le cas, que faut-il faire ? Est-on en mesure de répondre à ces demandes, compte tenu de ce qu’on sait faire et de son éthique personnelle ? Quelles sont les marges de manœuvre et d’action pour proposer une reformulation de la commande initiale ?
La réflexivité peut conduire ainsi à développer une compétence d’analyse de la demande, centrale dans les pratiques d’intervention (l’ergonomie, la sociologie, la psychosociologie, etc.), qui ne s’inscrivent pas dans une stricte exécution de la commande du prescripteur, et considèrent que l’apport de l’intervenant réside dans sa capacité à questionner et reformuler les problèmes tels qu’ils se présentent initialement.
Cette analyse de la demande et des relations entre système-intervenant et système-client mérite d’être menée tout au long de l’intervention pour tenter de préserver ce qui pour soi est la « bonne distance » avec les différents acteurs et leurs enjeux. Elle suppose de se clarifier sur ses propres enjeux et son autonomie dans la situation : quelles sont les tentatives d’instrumentalisation dont on fait l’objet ? A-t-on l’autonomie hiérarchique et professionnelle suffisante pour les juguler ?
Au-delà des aspects relationnels et de positionnement, le caractère tripartite de la relation de coaching invite enfin à se clarifier sur des dimensions éthiques et identitaires inhérentes à la pratique de l’intervention. La réflexivité peut ainsi porter sur deux dimensions au moins :
- La finalité et la visée sociopolitique de l’action : pour qui le coach intervient-il (le prescripteur, le coaché, les deux) ? Pour quoi, c’est-à-dire au nom de quelle finalité ? Avec quelle visée sociopolitique (s’agit-il de restaurer des individus, de les soutenir dans leur émancipation, de les aider à s’adapter, à être plus performants, à atteindre des objectifs précis et mesurables, etc.) ? Est-elle partagée par les acteurs auprès desquels il intervient ? Faut-il alors ou non intervenir ?
- L’éthique et la responsabilité personnelle : quand il intervient, quels risques fait-il prendre à l’autre ? Que produit-il pour lui, avec lui ? Quelles conséquences de son action ? À quelles conditions peut-on intervenir sans nuire à autrui ?
Le travail mené par les associations professionnelles pour produire des dispositifs formels (accréditations, certifications, labels, codes de déontologie…) visant à assurer la qualité des pratiques de coaching est une première manière de réguler le marché. Le développement du professionnalisme repose également sur la formation à des approches, comme la sociologie du travail et des organisations, permettant de dépasser des lectures trop psychologisantes des situations de travail et d’étayer sa pratique par une analyse des dilemmes qui structurent fondamentalement toute relation d’intervention.
Un article de Anne-Claude Hinault, Sociologue, Professeure associée, Sorbonne Université
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.