Selon une enquête publiée en 2023 de Bpifrance, un dirigeant de PME et d’ETI familiale sur quatre a plus de 60 ans. Dans la décennie à venir, par ailleurs, plus d’une PME et ETI sur deux se trouvera en situation de transmission, car leur dirigeant devra partir en retraite. Pourtant, 47 % des chefs d’entreprises familiales âgés de 60 à 69 ans n’ont pas formalisé de plan de succession. Cela remet en question la préparation des successeurs et explique en partie le taux d’échec élevé des successions familiales avec seulement 30 à 35 % des entreprises réussissent le passage de la première à la deuxième génération. Dans le contexte actuel de vieillissement de la population des dirigeants, la continuité et la longévité des entreprises familiales deviennent un enjeu majeur pour les politiques publiques.
Cette question de la succession apparaît d’autant plus stratégique, que, contrairement à bien des idées reçues, la préparation d’un plan de succession ne se limite pas à définir les modalités et le calendrier de la transmission. Ce travail en amont devrait aussi évaluer les qualités et compétences requises des successeurs.
Ces dernières jouent un rôle crucial dans la réussite de la succession d’une entreprise familiale. Or, trop souvent, l’attention se concentre sur les compétences techniques spécifiques au métier de l’entreprise, telles que les processus de production, les nouvelles technologies et les particularités des produits, ainsi que, plus généralement, sur la connaissance approfondie de l’industrie et de ses caractéristiques.
Gérer l’ambiance familiale
Pourtant, avec le développement de l’intelligence artificielle, certains métiers techniques sont menacés de disparition et de nombreuses tâches sont désormais automatisées. À l’inverse, les compétences sociales et relationnelles, encore difficilement remplaçables par les nouvelles technologies, sont souvent négligées. En effet, les technologies actuelles peinent à comprendre et à reproduire les émotions et les interactions sociales humaines. Ce constat a été souligné par un des fondateurs interrogés dans le cadre de nos recherches.
« On peut embaucher quelqu’un qui s’occupe de l’aspect technique, mais dans une entreprise familiale, nous avons besoin d’un successeur capable de gérer l’entreprise mais également les relations entre les membres de la famille et l’ambiance familiale ».
Les compétences sociales se définissent comme la capacité d’interagir efficacement avec les autres. L’article de référence qui définit les compétences sociales a été publié en 2003 par E.A. Baron et G.D. Markman.
Habiletés interpersonnelles
Les compétences sociales regroupent un ensemble d’habiletés interpersonnelles, distinctes et complémentaires. Certaines compétences sont plus orientées vers la compréhension de l’autre, comme le codage des messages verbaux et non verbaux par les interlocuteurs. D’autres sont davantage orientées vers l’action et le contrôle du soi. En effet, la perception sociale est la capacité du successeur à percevoir les autres. Mieux cerner le profil des individus et comprendre leurs attentes, leurs émotions permet d’obtenir de meilleures collaborations avec les acteurs de l’écosystème. Cette agilité est d’autant importante dans un contexte familial car elle permet au successeur d’identifier et assurer les besoins inexprimés des membres de la famille. Ainsi, le successeur s’assure de l’engagement et de l’harmonie familiale. Ceci a été d’ailleurs confirmé par plusieurs répondants qui ont participé à notre étude :
« Certains membres de la famille préfèrent ne pas aborder certains sujets pour garder une bonne ambiance au sein de la famille ; le successeur doit être capable d’identifier et de comprendre leur insatisfaction » (fondateur 3).
L’adaptabilité sociale quant à elle est définie comme la capacité du successeur à s’adapter et adapter son comportement face à diverses situations sociales impliquant des personnes de différents milieux, générations et mentalités. Le successeur qui intègre l’entreprise familiale, une structure déjà établie avec une équipe en place, aura plus de facilité à ajuster son comportement, son attitude et son langage avec les partenaires et le réseau développés par le dirigeant de la génération précédente, tous potentiellement issus d’une autre culture. Ceci permet au successeur de développer et d’élargir son cercle relationnel en gagnant la confiance des collaborateurs. Ceci a été d’ailleurs confirmé par plusieurs répondants.
« J’adapte mon discours en fonction de la situation ; parfois je parle doucement ; Je lui explique, mais parfois je prends la décision sans discuter » (Successeur 1).
Gérer la famille et les collaborateurs
L’expressivité est la capacité d’exprimer ses émotions et ses réactions d’une manière adaptée, autrement dit leur maîtrise. Ceci permet au successeur de motiver ses équipes, créer une atmosphère favorable au développement. Une attitude positive de la part du successeur influence le comportement des équipes et des collaborateurs.
Dans un contexte familial, le successeur doit être capable d’exprimer ses émotions d’une manière adaptée avec son père et avec les autres membres de la famille. Les émotions ne sont pas exprimées de la même façon avec tous les membres de la famille. Certaines émotions doivent être contrôlées et ajustées pour éviter des situations conflictuelles. Ceci a été d’ailleurs confirmé par plusieurs répondants :
« Si vous lui montrez que vous n’êtes pas satisfait, il devient encore plus en colère ! Alors tu caches tes sentiments » (successeur 3).
La capacité d’adaptation est dépendante de la gestion des impressions. Cette dernière est définie comme la capacité de donner une bonne impression aux autres, autrement dire, séduire les interlocuteurs. Le successeur peut ainsi attirer davantage les meilleurs collaborateurs et faciliter l’accès au financement.
Climat de confiance
Ceci passe généralement par les compliments, les remerciements et les encouragements. Reconnaître le travail accompli et la contribution de chacun motive les salariés à atteindre de meilleures performances et favorise un climat de confiance et de reconnaissance au sein de l’entreprise familiale. Cette reconnaissance renforce l’engagement et le sentiment d’appartenance non seulement parmi les salariés, mais aussi parmi les membres de la famille, créant ainsi une synergie positive au sein de l’entreprise.
Ceci a été d’ailleurs confirmé par plusieurs répondants.
« Je félicite et remercie souvent mon père pour ce qu’il fait pour nous ; pour lui, c’est une forme de reconnaissance » (cas successeur 1).
Il est important de souligner qu’il ne faut pas non plus exagérer en adoptant ce type de comportement sinon ceci devient contreproductif et les gens peuvent mal l’interpréter.
Les compétences sociales, cet ensemble d’habilités interpersonnelles, font références à des compétences appelées aussi « soft skills » ou « intelligence émotionnelle ». Ce qui différencie d’ailleurs l’être humain des machines, notamment avec le développement exponentiel de l’intelligence artificielle qui prend de plus en plus de place dans la vie quotidienne.
Hedi Yezza, Professeur en entrepreneuriat, Université de Sherbrooke
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.