L’efficacité des transformations silencieuses


François Jullien
Entretien avec Jean-Philippe Denis

 | 16 décembre 2025 | 90 minutes | En collaboration avec IQSOG

Penser en Europe s’est longtemps réglé sur l’héritage grec : découper, définir, viser, imposer une forme. Cette grammaire du but a façonné notre imaginaire de l’action, du plan, de la rupture.

À cette manière de faire prise, le détour par la Chine ouvre une autre intelligibilité : discerner la propension des choses, travailler avec la pente des situations, ajuster le geste juste. Ce déplacement renverse notre idée d’efficacité, du projet vers la propension, de la maîtrise vers l’ajustement, du spectaculaire vers le discret.

Dans cette perspective, l’événement n’est plus un choc mais l’aboutissement de transformations silencieuses, changements continus qui s’opèrent à ciel ouvert sans qu’on en prenne d’abord la mesure. Apprendre à voir ces métamorphoses minuscules déplace notre rapport au temps, au gouvernement de soi et à l’action collective.

D’où l’exigence de la dé-coïncidence : ménager une faille dans nos évidences et nos usages pour rouvrir l’initiative. Dé-coïncider n’est pas fuir, c’est desserrer l’automatisme, dégager une marge d’existence, relancer le goût du monde par l’attention au discret. Ce trajet conduit à l’idée d’une seconde vie, non pour refaire sa vie mais pour la reprendre de l’intérieur, requalifier l’ordinaire, réorienter ses prises, jusqu’à vivre enfin.

Une toute autre appréhension de ce que pratiquer la stratégie, management et gouverner et plus généralement exercer le pouvoir signifie, en somme.

Philosophe et sinologue, François Jullien développe depuis plus de trente ans une œuvre qui déplace nos évidences. Professeur émérite à l’Université Paris Cité, il a tenu la chaire sur l’altérité au Collège d’études mondiales. Dégageant une autre intelligence de l’agir par le détour de la Chine, il travaille l’écart comme méthode : penser dans l’entre, dé-coïncider des automatismes du langage, accueillir la propension des situations plutôt que leur imposer un plan. Un travail qui invite à une philosophie réellement opérante, parce qu’attentive au discret et à la justesse plutôt qu’au spectaculaire.

Une interview a retrouvé sur l’excellent site de CAIRN

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