Notre corps émotionnel

Entretien avec Rosalie Evelyn

Vous dites que « notre corps est sculpté par nos émotions »…
Notre corps est un condensé d’épisodes émotionnels dont nous ne nous sommes pas libérés, fait de déplaisirs et d’insatisfactions. Ce « baluchon » qui se constitue dès la petite enfance, va prendre de plus en plus de place et s’alourdir jusqu’à devenir une part de notre identité, déposant sur notre corps une empreinte émotionnelle que nous pouvons explorer à tout moment

En fonction des émotions vécues depuis la vie intra-utérine, l’enfant détermine donc un programme personnel, unique, qui peut continuer à se charger pendant toute l’existence ?
Cela commence effectivement dès la vie intra-utérine, puis se poursuit à la naissance : le fait que l’on soit abandonné ou que l’on parte en couveuse peut créer des déséquilibres importants et compliqués à gérer. Cela se verra si l’enfant n’a pas eu de mains fermes pour le tenir : il se crispe, lutte déjà pour chercher un cadre et se protéger. On sait que c’est en fonction de l’amour et de la protection que l’on a reçu ou pas, que l’on avance. L’architecture du corps (posture, mouvements) nous donne des indices du modèle émotionnel que chacun s’est construit et constitue autant d’empreintes laissées par ce que l’individu a enduré.

Quel est physiquement, l’impact de l’émotion sur le corps ?
L’émotion nous fait passer d’un système corporel naturel totalement souple à un système verrouillé qui nous empêche de bien fonctionner. Le corps pourtant doté de nombreuses aptitudes physiques s’est transformé en un corps désorganisé et raide à l’âge adulte, bien éloigné de celui des origines. S’il sait s’adapter aux difficultés (qu’elles soient d’ordre personnel, professionnel ou familial), il peut aussi les « encaisser » en se raidissant durablement. Il imprime le vécu en se contractant sans cesse, ce qui provoque des crispations qui se transforment en rigidité et en blocages. Les nœuds formés dans la chair sont toujours le résultat d’expériences particulières, d’histoires que l’on enferme, mais ils ont un impact immense dans notre positionnement face au monde. Il suffit de regarder comment se tient une personne dans le métro pour comprendre ce qu’elle a enduré dans sa vie, car notre posture parle des émotions que l’on porte comme un fardeau.

Perçoit-on de manière consciente cette émotion « stockée » par le corps et qui se manifeste dans ses tensions ?
Non car l’intériorisation par le corps a pour fonction de libérer la conscience et de permettre de s’en détacher provisoirement. Structuré par le regard et le discours de l’autre, le corps peut être le lieu d’une aliénation. Même si nous le considérons comme naturel, ce dernier n’est en fait que le reflet des marques d’une construction affective et sociale. On ne perçoit souvent pas l’ampleur de la douleur physique accumulée, la souffrance, ni le carcan musculaire dans lequel l’émotion nous a enfermé.

Peut-on parler de « carte des émotions » dans ce contexte ?
La Peur (du manque, du déséquilibre) est pour moi liée à l’ensemble de notre bassin car elle renvoie à notre première enfance où, jusqu’à l’apprentissage de la marche, nous avons eu peur du déséquilibre. La colère est liée à adolescence, avec une envie de bousculer les choses, de prendre ses marques, alors que nous sommes contraints par les injonctions du « bien faire social ». Elle se situe donc plutôt dans la cage thoracique. Et la tristesse se situe quant à elle au niveau de la poitrine, c’est le refuge de l’intime. C’est un voile, une écharpe que l’on porte et qui touche à nos sentiments les plus profonds. L’éducation parfois traumatisante pour nous conformer aux normes et aux valeurs ont pu suscité chez nous une réponse corporelle de peur de colère ou de tristesse… La répétition de ce phénomène au cours de notre développement (physique) a modelé notre corps en imprimant de façon durable les codes et les valeurs familiales et sociales. Dans certaines familles, le code tend vers une maîtrise des émotions, qui confine parfois à l’extrême.

Ces blocages constituent-ils une fatalité ?
Heureusement non car notre structure corporelle peut-être remodelée. La reconstruction du corps passe donc par une gymnastique, des étapes de remobilisation articulaire et musculaire pour relier le corps à ses sensations et au cerveau. En mobilisant ses différentes parties (dans le respect de leur fonctionnement biologique), on se reconnecte avec cette sensibilité perceptive acquise dès le début de la vie et progressivement verrouillée au cours du développement physique. Cette reprogrammation favorise ainsi la liberté du corps, de l’émotion et de l’esprit pour un nouvel équilibre (corps-esprit).

Vous employez d’ailleurs le terme de « gymnastique émotionnelle », pouvez-vous nous préciser de quoi il s’agit ?
La gymnastique émotionnelle permet de travailler concrètement sur le corps pour libérer les émotions, apaiser ses tensions, retrouver mobilité et souplesse. Elle est fondée sur la compréhension des blessures cachées. Il faut déconstruire les bases physiques émotionnelles sur lesquelles nous nous sommes bâtis et qui révèlent la trame de l’histoire de notre identité. Pour pouvoir s’alléger et se sentir mieux, il est important de connaître cette gestion mécanique et émotionnelle du corps. Il faut donc activer cette source d’intelligence pour retrouver cette régulation et remettre en œuvre notre système d’adaptation. Des exercices physiques fondamentaux de libération émotionnelle (basés entre autres, sur la respiration) vont permettre de modifier nos câblages physiques et cérébraux.


Propos recueillis par Aurélie Godefroy à retrouver sur le site de la formidable revue « Question de » ici

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