Comment réduire le stress au travail ? Ce que nous apprennent les babouins du Kenya….

Un article de Muriel Rosset, publié dans ManagementSanté.com le 1er septembre 2017

Qu’est-ce que le stress ?

« Le stress empoisonne l’existence, au sens propre et figuré : il ne rend pas seulement la vie désagréable, il nous rend aussi malade.

Selon le Docteur Herbert Benson, du Mind/Body Medical Institute de l’université Harvard, environ 80 % des consultations médicales seraient liées au stress, d’une manière ou d’une autre. De même que 60 % à 80 % des accidents de travail, selon l’American Institute of Stress. » (Source passeport santé).

Il y a pourtant plusieurs sortes de stress.

L’excellent documentaire « le stress, portrait d’un tueur » me donne l’occasion d’éclairer deux faces physiologiques et psychologiques de ce mal moderne, pour vous inviter à un chemin en trois temps :

  • la survie,
  • la reconfiguration des images sociales liées au pouvoir,
  • la libération de la parole au cœur du travail.

1. Le stress vital : survivre

Le stress est à la base une réaction chimique saine à une situation vitale : manger ou être mangé. Car si les animaux vivent la plupart du temps paisiblement, quand ils ont faim, ils ont besoin d’un coup d’accélérateur pour arriver à leurs fins (et faim !). Le zèbre qui voit un lion courir vers lui doit donc avoir peur pour se sauver, (et le lion être motivé pour le pourchasser).

Leur stress ne va pas heureusement pas durer longtemps :

  • Pour le zèbre,
    • soit il échappe au lion et se repose de sa victoire,
    • soit il meurt.
  • Pour le lion
    • soit il mange le zèbre et se trouve rapidement repu,
    • soit il le manque et trouvera un autre zèbre pour son repas.

Dans tous deux cas, leur stress aura été de courte durée.


2. Le stress social : fuir, renverser la pyramide, ou changer nos représentations mentales ?

a) Fuir ?

Henri Laborit, médecin chirurgien et neurobiologiste, fut le premier à exprimer l’idée que le système nerveux peut être responsable de tous nos actes, et par voie de conséquence du système de domination sociale. Dans sa philosophie de l’action (plutôt « pessimiste » pour ce professeur qui ne croit guère à l’amour (1), tout en se vantant d’avoir « aimé » une centaine de femmes…), trois possibilités nerveuses guident notre vie au-delà  des comportements de survie et reproduction :

  • Je combats et je gagne la partie.
    • Mon stress cesse, et ma place dans l’échelle hiérarchique augmente.
  • Je combats mais j’échoue, ou j’accepte des récompenses extrinsèques.
    • Je vais alors m’inhiber, et développer de l’angoisse et du stress.
  • Je fuis le combat

« L’imaginaire s’apparente ainsi à une contrée d’exil où l’on trouve refuge lorsqu’il est impossible de trouver le bonheur parce que l’action gratifiante en réponse aux pulsions ne peut être satisfaite dans le conformisme socio-culturel. C’est lui qui crée le désir d’un monde qui n’est pas de ce monde.

Y pénétrer, c’est « choisir la meilleure part, celle qui ne sera point enlevée ». Celle où les compétitions hiérarchiques pour l’obtention de la dominance disparaissent, c’est le jardin intérieur que l’on modèle à sa convenance et dans lequel on peut inviter des amis sans leur demander, à l’entrée, de parchemin, de titres ou de passeport.

« Par la fuite, en alternance avec la lutte, l’homme peut ainsi donner du sens à sa vie. Prendre le recul nécessaire pour mieux affronter les obstacles et adopter une vision globale qui renforce et justifie l’action« , analyse Joël de Rosnay en synthèse. (3)

b) A défaut de fuir, faut-il renverser la pyramide sociale ?

Quand on invente des problèmes…

Depuis les années 70, Robert Sapolsky, neuroscientifique professeur à l’université de Stanford, a choisi de se pencher sur une colonie de babouins au Kenya pour étudier les conséquences du stress.

En observant leur comportement social, et en travaillant en laboratoire sur  la base de prélèvements de sang au moment du stress, d’étude de la tension et autres examens cliniques, il a pu remarquer que le comportement des babouins était très similaire à celui des hommes en Occident.

Ainsi, au-delà du temps réduit passé à chercher à se nourrir, cette colonie déployait une énergie phénoménale en compétitions sociales, harcèlements divers, coalitions, bagarres…

Résultat : beaucoup de stress généré par des tensions socio-psychologiques qu’ils ont eux-mêmes inventés.

Quand on nous crée des problèmes…

En 1987, Robert Sapolsky a fait une autre découverte, qui lui vaudra le prestigieux MacArthur Fellowship :   la position sociale d’un babouin détermine son taux d’hormone du stress. Résultat :

  • le taux d’hormone lié au stress est beaucoup moins important chez le mâle dominant que chez le mâle dominé.
  • Les  « subalternes ont une tension artérielle et un rythme cardiaque plus élevés (…) Si vous êtes un babouin stressé et en mauvaise santé, la chimie de votre cerveau ressemble à celle d’un homme dépressif. »

Ce constat a été confirmé  sur une période de 40 années, Michael Marmot – professeur d’épidémiologie à l’UCL à Londres –  a mené une vaste étude auprès de 18 000 fonctionnaires britanniques. Le projet Whitehall a porté sur des personnes ayant leur bureau dans cette rue du centre de Londres, exerçant des métiers stables, sans danger, avec une bonne couverture de santé. Résultat :

  • il y a un lien entre le statut social et le stress
  •  « Plus vous êtes bas dans la hiérarchie, plus le risque de maladie, surtout cardiaque, est grande,« 
  • « Les conditions de vie et de travail sont primordiales pour notre santé,« 
  • « Quand les gens ont plus de contrôle sur ce qu’ils font, qu’ils sont traités de manières plus justes et plus équitables, le taux de stress diminue, et la maladie baisse. »

Peut-on y changer quelque chose ? Quand nos poubelles mènent à la prospérité

Revenons à nos babouins du Kenya.  Il y a 20 ans, Robert Sapolsky a subi un événement à première vue bloquant pour ses recherches, qui s’est en réalité révélé fort utile. En effet, les babouins sont allés piocher de la nourriture dans un camp de touristes, et ont alors mangé de la viande infectée par le bacille de la tuberculose.

Sauf que tous n’en sont pas morts !

Seuls les plus influents disparurent. Pourquoi eux ? Tout simplement parce que les mâles dominants n’avaient pas l’habitude du partage, et s’étaient réservés le repas empoissonné pour eux seuls.

Leur gestion du groupe était avant tout égoïste et intéressée :

Maintenir leur confort et asseoir leur position…

Du jour au lendemain, la colonie de primate s’est donc retrouvée avec des mâles jusque-là dominés. 

Et la vie changea brutalement du tout au tout : les mâles devinrent doux avec les femelles, et tous les jeunes adolescents rebelles qui voulaient se montrer agressifs se faisaient rapidement remettre au pas de la gentillesse …

En une génération,

  • le stress disparut,
  • la colonie prospéra.
Muriel ROSSET, Image 5

Est-ce à dire qu’il faille « éliminer » tous nos dirigeants narcissiques ?

Nous pouvons surtout reconfigurer l’image sociale hiérarchique. En effet, les recherches menées depuis toutes ces décennies montrent que

« L’important n’est pas votre rang, mais ce qu’il signifie au sein de la société.« , conclue Robert Sapolsky.

Or les dirigeants narcissiques, à défaut d’être en voie de disparition, commencent à être vus sous leur véritable angle. Ils ne sont surtout plus adaptés à notre monde de demain, comme nous le rappelle Gérald Karsenti, PDG de Hewlett Packard France, dans son ouvrage sur le leader troisième type.

Ces leaders narcissiques savent nous entraîner, mais pour quel véritable objectif et pour combien de temps ? La force d’un vrai leader, c’est de donner plus que de recevoir, d’écouter plus que de parler de lui, de montrer l’exemple pour donner envie d’œuvrer ensemble et de donner le meilleur de soi-même :

« Ce que nous apprennent les babouins, explique Robert Sapolsky c’est ne mordez pas les autres car vous avez passé une mauvaise journée, ne vous vengez pas sur eux, les relations sociales ont beaucoup d’importance. Et une des plus grandes formes de sociabilité est de donner plutôt que recevoir. Tout cela rend le monde meilleur. Et si les babouins en l’espace d’une génération ont été capables de transformer un système social qui paraissait immuable, nous ne pouvons pas rester les bras croisés en disant que les relations humaines ne peuvent pas changer. »


3. Libérer la parole au cœur du travail

Pour éclairer la vision que nous avons de nos dirigeants et les aider à (re)trouver une place de service, vous pouvez lire mon récent article sur le vrai visage des entreprises libérées, et les trois libérations à traverser par leurs dirigeants. , ou mon tryptique et tableau pouvoir-service -responsabilité, sur la question  » de qui suis-je responsable ? »

Vous pouvez aussi et avant tout le commenter, pour libérer la parole : les divers commentaires tant de PDG que de salariés reçus en privé me montrent combien cette parole libérée est une clé nécessaire dans le monde du travail, et dans la vie en général…

Alors à vous la parole !


Notes : 

1 Henri Laborit : Aimer l’autre, cela devrait vouloir dire que l’on admet qu’il puisse penser, sentir, agir de façon non conforme à nos désirs, à notre propre gratification, accepter qu’il vive conformément à son système de gratification personnelle et non conformément au nôtre. Éloge de la fuite.

2 Henri Laborit (La Nouvelle Grille, Chapitre 7 – conscience, connaissance, imagination –
p.160-161)

3 Laborit : de la cybernétique à la systémique. Source : Cité des Sciences et de l’Industrie  1995 – cite-sciences.fr

Pour en savoir plus : Muriel Rosset m-gravity https://www.m-gravity.com/
muriel.rosset@m-gravity.fr

Rechercher

Suggestions