Comment des managers motivés avec des QI individuels de 120 peuvent-ils constituer une équipe au QI global de 63 ?

Cette question de Peter Senge dans son livre la 5ème Discipline traduit assez bien la « déperdition d’intelligence » à l’œuvre dans bon nombre de CODIR, d’équipes et plus largement de collectifs humains… Erigé en dogme, on a voulu principalement retenir des travaux de Darwin le seul principe de compétition basé sur la loi du plus fort… Ainsi, d’une part on a oublié que la vraie teneur de son message mettait davantage en exergue la capacité spécifique d’un être vivant et d’une espèce à s’adapter mieux et plus vite que les autres… d’autre part, à l’ère de la complexité exponentielle, des limites d’un modèle économique du « toujours plus à tous prix » et des enjeux environnementaux et sociaux qui se posent  à notre espèce à l’échelle globale, il serait sage de se rappeler que pour combattre un Mammouth, il a toujours mieux valu s’y mettre à plusieurs !

« Je ne sais pas si c’est bien, mais c’est comme çà qu’çà marche ! »

Je nie toute participation

Pour la plupart d’entre nous, le modèle dont nous avons hérité  et dans lequel nous avons grandi est donc celui du « sois le plus fort…sois meilleur que… »… Dans le cadre professionnel, c’est par la suite assez naturellement que nous l’avons reproduit et perpétué avec plus ou moins de conscience d’être prisonnier du bien connu « manger ou être mangé » à la sauce de la world company chère au commandant Sylvestre (oui vous vous rappelez, c’était un peu après les Nuls)… Pour ma part et comme beaucoup, j’ai fait de mon mieux pour « survivre en environnement hostile » en développant une posture de déviant positif  qui revenait à payer le prix de ma « non conformité » par une performance qui se devait toujours  d’être exceptionnelle pour que mes avocats puisse défendre ma tête… Ce mode opératoire fit ses preuves  jusqu’au jour où mon 37ème N+1 en 29 ans de carrière résuma en ces mots sa philosophie professionnelle : « Je ne sais pas si c’est bien, mais c’est comme çà qu’çà marche !»

Cette phrase ce jour-là, fut la  « fameuse goutte » qui, comme on le sait depuis longtemps peut faire déborder le vase, mais  aussi comme on l’a appris aussi plus récemment, lancer une Marque Jaune à partir de ces lieux multi-directionnels et dont a parfois du mal à sortir que sont les ronds-points… Instantanément, je compris dès lors que la fantastique aventure intrapreneuriale dont la coopération avait été le moteur principal pour initier et mener un projet extraordinaire dans plus de 75 pays seraitsacrifiée sur l’autel de la compétition des égos et du retour à l’âge de pierre du management.

Alors si la capacité à s‘adapter est bien le marqueur ultime de ce qui subsiste ou de ce qui  est appelé à disparaître dans la compétition générale, le paradoxe tient au fait que pour un être ou une organisation, c’est dans sa capacité à  coopérer en « apprenant mieux et plus vite que les autres » (Argyris,1994)  que réside ses meilleures chances de rester dans la course de l’évolution…et à fortiori de l’innovation. Revisitées et enrichies par Béatrice Arnaud et Corinne EjeilLe Guide de l’Organisation Apprenante nous invite  à redécouvrir la modernité et la pertinence de la pratique des cinq disciplines pour contribuer plutôt à l’émergence des solutions qu’à l’entretien et la propagation des problèmes.

Prendre conscience du pouvoir des Modèles Mentaux

« Les modèles mentaux sont des postulats, des généralisations, voire des représentations ou des images profondément enracinées qui influencent notre compréhension du monde et nos actes. Très souvent, nous ne sommes conscients ni des modèles mentaux, ni de leurs effets sur nos comportements. » (Senge, 1990)

Perspectives…

Les recherches en la matière et notamment les avancées en Neurosciences nous permettent de mieux comprendre ce que l’on rassemble sous le terme de biais cognitifs que l’on pourrait plus communément appeler nos « à priori » ou nos « préjugés ». C’est ce que le  psychologue Daniel Kahneman appelle le Système 1 qui traite des opérations que notre cerveau réalise à notre insu pour nous faciliter la vie et nous faire gagner en traitant rapidement la masse de stimuli reçus à longueur de journée. Très utile dans certains cas,  ce « mode automatique » aussi provoquer une distorsion de la réalité et nous amener très souvent à porter un jugement ou prendre une décision sans avoir « raisonné » et vérifié la « validité des informations » qui la sous-tend en faisant appel au Système 2 ; celui qui « réfléchit et contrôle »…

A retenir

  • La méconnaissance des modèles mentaux et de leur impact renforcent la sensation « d’être en compétition » et ses corollaires (sentiment d’isolement, complexes de supériorité ou d’infériorité, impuissance apprise…) et constituent le premier obstacle à lever pour favoriser un modèle davantage axé sur la co-opération.
  • Dans l’organisation, ce sont ces modèles mentaux qui définissent la frontière plus ou moins claire entre « ce qui se fait ou pas », « ce qui est acceptable ou non » constituant ainsi pour le meilleur et pour le pire un des piliers de ce qui se cache souvent derrière la sacro sainte « Culture d’Entreprise » !
  • Notre Système 1 est du pain béni pour tous les diffuseurs de Fake News qui n’ont de cesse que de hacker notre esprit pour mieux nous influencer comme cet excellent documentaire d’Arte le démontre à en faire froid dans le dos…

Les pistes de travail

  • Identifier les modèles mentaux dominants chez soi-même et dans son organisation
  • Apprendre à « observer sa manière de penser » et ses conséquences en termes de comportements et de communication avec ses pairs, sa hiérarchie ou son équipe
  • Repérer les modèles mentaux chez les autres pour en accueillir et en apprécier la diversité, la source de créativité et d’innovation

Développer sa Maîtrise Personnelle

Les individus qui bénéficient d’un haut niveau de maîtrise personnelle réussissent continuellement à améliorer leur capacité à atteindre les résultats qu’ils recherchent vraiment. (Senge, 1990)


« Etre élève, élève l’être »… Nombre de qualités recherchées aujourd’hui dans un modèle de Leadership Positif sont directement liées à la capacité individuelle à « apprendre tout au long de la vie », voire de plus en plus dans un monde en perpétuelle transformation à « apprendre à apprendre »… Ainsi, la curiosité, l’humilité, la capacité à explorer et à tenter le nouveau en acceptant la possibilité de l’échec comme source d’apprentissage sont la marque de ce que la chercheuse en psychologie Carol Dweck a défini sous le terme d’état d’esprit de développement.

Cette posture basse du leader est sa meilleure protection contre le développement de son hubris et ce que tendent à démonter les études du spécialiste en psychologie sociale Dacher Keltner, selon lesquelles les personnes en position de pouvoir souffrent d’un déficit d’empathie, d’une moindre capacité à lire les émotions et par voie de conséquence à adapter leur comportement aux autres.

A retenir

  • La maîtrise personnelle consiste à s’améliorer en tant que personne en développant son désir d’apprendre et son engagement à progresser
  • Selon Avolio (The Leadership quaterly, 2005), un leader authentique a une profonde connaissance de soi, de ses pensées, de ses comportements et émotions ainsi que de la façon don’t il est perçu par ses collaborateurs.”
  • Être un leader (et cela quel que soit son niveau hiérarchique) nécessite de prendre conscience et de développer les trois formes d’intelligence : cognitive, sociale et émotionnelle.

Les pistes de travail

  • Etre aussi souvent que possible en connexion avec ses valeurs profondes et l’intention qui fondent la prise de décision et le mode d’engagement
  • Cultiver la prise de recul et les capacités psychologiques positives que sont la confiance, l’optimisme, la résilience et bienveillance
  • Développer les quatre pratiques du Leadership Positif : créer un climat positif, s’appuyer sur les Forces et les relations positives, développer une communication positive, donner du sens

Promouvoir l’émergence d’une Vision Partagée

« Pour qu’une vision soit réellement partagé, il faut que vous et moi ayons la même image en tête, que nous nous sentions engagés l’un et l’autre à la réaliser, non pas chacun de notre côté, mais ensemble. » (Senge, 1990)

Selon une étude Deloitte et Viadéo 9 salariés sur 10 considèrent la question du sens au travail comme un enjeu majeur et cela se traduit concrètement par :

  • le respect des valeurs
  • l’utilité du travail
  • l’éthique
  • la compréhension des missionset de la stratégie
  • la contribution à quelque chose de plus grand que soi
  • un accès à l’information et le pouvoir de questionner

J’ai eu la chance de travailler dans près de 55 pays avec une multitude d’équipes ou de collectifs divers et donc bien sûr un grand nombre de managers ou de dirigeants différents. Ce qui m’a toujours frappé était de constater à quel points ceux qui étaient en mesure d’apporter un supplément d’âme au « business as usual » était ceux qui réussissait le mieux à créer de l’engagement,  susciter des émotions positives et à finalement  délivrer une performance exceptionnelle et durable. Ainsi, que cela soit fait de façon structurée ou non, à chaque fois il y avait un facteur commun à ces collectifs : une Vision Partagée initiale forte et sa permanente réactualisation en fonction du contexte.

A retenir

  • Une Vision Partagée favorise l’engagement, la confiance en soi et dans le groupe
  • Source intarissable d’énergie et de résilience pour relever les défis, elle donne une raison d’être à la fois individuelle et collective en permettant à chacun de trouver sa place et de contribuer à un dessein plus grand
  • Permettre les conversations que génère l’émergence d’ une Vision Partagée, c’est déjà lui « donner vie » !

Les pistes de travail

  • Intégrer qu’à l’ère de la complexité et de La transition fulgurante (Giorgini,2014), nul ne détient la vérité et apprendre à mobiliser l’Intelligence Collective est devenu vital
  • Prendre conscience du pouvoir infini des prophéties auto réalisatrices qui façonnent sinon à notre insu les conséquences  de nos actions tant sur le plan individuel que collectif
  • Découvrir et apprendre à mettre en œuvre la démarche de l’Enquête Appreciative (Appreciative Inquiry)

« Apprendre à Apprendre »… en équipe

« L’apprentissage individuel n’est plus le facteur à prendre en compte pour l’apprenante organisationnelle. Les gens apprennent sans cesse sans que cela profite à leur organisation. En revanche, si une équipe réussit à apprendre collectivement, elle devient un microcosme de l’apprenante à travers l’organisation. Ainsi son expérience a toutes les chances de se diffuser rapidement dans l’organisation, à travers les individus et d’autres groupes. (…) L’apprenance en équipe est une discipline collective, bien qu’elle implique des aptitudes et compétences individuelles. (Senge, 1990)

C’est une chose que d’apprendre seul et en silence, c’en est une autre que de se frotter à l’altérité, aux attentes et aux formes d’apprentissages différents de ceux avec lesquels on est sensé « faire équipe »…contrairement à ce que l’on pense parfois, une performance d’équipe ne passe pas toujours par l’affection réciproque entre ses membres mais davantage par le fait de partager un objectif commun précis, une conscience claire de ce que chacun apporte au collectif (les forces) et l’engagement individuel de mettre tout en oeuvre pour atteindre le but fixé. Dans ce cas, l’Intelligence Collective sert l’intérêt supérieur et le tout est supérieur à la somme des parties…

Pour le chercheur en psychologie Marcial Losada, il y a trois types de dialogues qui influence la capacité d’une équipe à communiquer et à apprendre:

  •  Positivité versus Négativité : ratio entre commentaires et interactions positives et négatives
  •  Questionnement versus Défense : ratio entre questions posés (surtout pour mieux comprendre) et nombre de fois où les personnes défendent seulement leur point de vue sans chercher un vrai dialogue avec l’autre
  •  Autre versus soi : ratio de commentaires qui font référence aux membres de l’équipe par rapport à ceux qui ne concerne que la personne qui s’exprime

A retenir

  • Reconnaître et se concentrer sur les réussites plutôt que sur les échecs favorise la capacité à apprendre et à performer.
  • « Ecouter pour comprendre » est plus puissant que juste « écouter pour répondre »…
  • Un dialogue est plus constructif lorsqu’aux questions fermées (réponse par oui/non) ; il s’enrichit de questions ouvertes et exploratoires en appelant un développement de pensée ou d’approfondissement en marquant l’intérêt et une saine curiosité

Les pistes de travail

  • Comprendre que les échecs lorsqu’ils sont sources d’apprentissage, sont les meilleurs gages des succès futurs
  • Faire preuve d’empathie et de bienveillance suscite la réciprocité
  • Apprendre à se questionner, à « s’écouter vraiment » et à partager ses enseignements est la marque des grandes équipes

Décoder et raisonner en « systémique »

« La pensée systémique est une discipline qui consiste à voir les phénomènes dans leur intégralité. Elle permet d’étudier les interrelations plutôt que les éléments individuels, d’observer des processus de changement plutôt que des images statistiques. » (Senge, 1990)

Il serait présomptueux de prétendre expliquer la systémique et son paradigme qu’est la complexité en quelques lignes de blog. Dans un monde simple, des causes (identifiées) produisent des effets (prévisibles) et quelle que soit la difficulté du problème à résoudre comme celle de construire un Airbus A320 par exemple, on peut « suivre un plan » et en prenant le temps qu’il faut, suivre une logique rationnelle pour assembler l’appareil pièce par pièce. Dans un environnement complexe, les liens entre les causes et les effets sont plus diffus, en mouvement perpétuel et dominé par l’aléatoire…la probabilité remplace la certitude, l’inconnu prédomine… Pour une entreprise, cela se traduit par exemple par un plan à trois ans remis en question dés le premier semestre de l’an 1. De même si l’exercice du budget annuel est utile, l’énergie qu’il a mobilisé pour voir le jour part de plus en plus en fumée dés le mois de Février pour laisser place à la « navigation à vue »… Pour sacrifier au vocabulaire à la mode; c’est Volatile, Incertain, Complexe et Ambigu (VICA), on pourrait dire que c’est systémique dans la mesure ou tout est interconnecté et que « la solution d’ici » donne potentiellement naissance au « problème de  là-bas »… là-bas étant ici le département Commercial pour le Marketing par exemple, le sous traitant pour le dominant ou encore le Sud pour le Nord… pour finir le petit problème de chacun devient vite le grand problème de tous !

A retenir

  • Selon Edgar Morin, le compliqué s’attache à séparer/réduire, le complexe amène à conjuguer/distinguer
  • Le compliqué traite du pourquoi causal linéaire, le complexe repose sur la multicausalité circulaire
  • Le compliqué sépare l’observateur de l’observationdans le complexe l’observateur est partie prenante de l’observation

Les pistes de travail

  • S’entraîner à voir le monde et les organisations comme des « systèmes vivants » où l’organique prend le pas sur la mécanique
  • Se concentrer sur ce qui relie plutôt que sur ce qui sépare
  • Etre conscient que les problèmes d’aujourd’hui viennent le plus souvent des solutions d’hier

Face aux défis qui s’offrent à nous, voire au grand effondrement que certain nous prédisent, la prise de conscience de notre interdépendance est cruciale et gagner la compétition à n’importe quel prix ne mène nulle part…Et si comme nous le dit Christophe André, le désastre annoncé était l’opportunité d’apprendre, ou de réapprendre à coopérer…

Et vous qu’en pensez-vous ?

Un article de Eric Mellet publié le 7 mars 2019 sur son blog : https://mellet-consulting.com/blog/

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