Entre expertise et sollicitude : les « nouveaux chefs »

Photo by Peggy Anke on Unsplash

(Suite de l’article Qu’est-ce qu’un chef)

L’autorité est-elle en crise ? Le fameux slogan de Mai 68 « il est interdit d’interdire » serait-il devenu la vérité de notre temps ? Dans un article paru dans la revue Inflexions, Pierre-Henri Tavoillot tente de déconstruire cette évidence. Non, l’autorité et le chef n’ont pas disparu. Ils sont en pleine réinvention. Depuis la Renaissance, les trois sources traditionnelles de l’autorité (la nature, la religion et la transcendance) sont contestées. Elles n’offrent plus une légitimité suffisante à la figure du chef. Les découvertes scientifiques et l’affirmation de la démocratie se sont accompagnées d’une demande accrue de liberté et d’égalité de la part des individus. Il en résulte une contradiction : d’un côté l’autorité est de moins en moins bien supportée et, de l’autre, les individus ressentent un besoin d’autorité toujours croissant.

Pour affronter ce paradoxe, l’auteur propose d’identifier trois nouveaux principes qui font autorité aujourd’hui. Le premier renvoie à l’autorité du savoir, qu’on appelle aussi l’expertise. La figure du chef comme un « sachant », un expert ou un « techno » s’appuie sur cette forme d’autorité. On peut penser à des personnalités comme Valéry Giscard d’Estaing ou Raymond Barre qui furent économistes avant de devenir dirigeants politiques.

La seconde forme d’autorité est celle du charisme. Notion confuse, le charisme désigne les qualités exceptionnelles de la personnalité d’un individu. Mais parce que le leader charismatique risque à tout moment de se transformer en despote, cette source d’autorité reste fragile. Le charisme suscite autant la méfiance que l’adhésion.

La dernière source d’autorité contemporaine est la sollicitude. Chef d’entreprise, décideur politique, sportif : les grands meneurs doivent aujourd’hui se tenir aux côtés des victimes, savoir démontrer leur empathie, exprimer leur solidarité dans les catastrophes naturelles ou humaines. Au risque d’être considéré comme un « salaud » froid et insensible, un chef doit savoir faire preuve d’humanité et de sensibilité, verser des larmes et apparaître comme un cœur tendre. Ce nouveau critère est devenu déterminant dans l’exercice des fonctions du chef.

Pierre Henri Tavoillot est maître de conférences à l’Université de Paris-Sorbonne et Président du collège de Philosophie.

Un article du site incroyable de richesses CAIRN INFO à retrouver ici

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