Si les principes de l’intelligence collective trouvent un écho très favorable depuis quelques années dans le monde des organisations, ce n’est certainement pas quelque chose qui a été inventé récemment par les humains comme solution nouvelle aux défis de créativité et de compétitivité de ces organisations. Car l’intelligence collective a toujours existé dans le vivant, elle est le propre du vivant et elle est le produit des interactions du vivant. L’intelligence collective n’est donc pas quelque chose à inventer mais à redécouvrir. Tout ce que nous avons besoin de savoir sur l’intelligence collective se trouve dans la nature. La science décrira cette intelligence par le terme d’émergence. Les propriétés d’émergence s’observent à tous les niveaux du vivant, du monde microscopique au monde macroscopique.
Cette première partie d’article décrit la nature des liens naturels que les organismes vivants qui habitent notre terre établissent pour survivre et prospérer. Nous verrons en quoi l’humain est naturellement si proche des animaux, les constructions mentales et matérielles qui on écarté et séparé l’humain du monde de la nature, et son besoin moderne de réinventer cette intelligence de la nature pour l’appliquer avec succès au monde de l’entreprise. Le regard de la science sur l’intelligence collective ne fait que confirmer les lois de la nature.
Les leçons de la nature sur l’intelligence collective
Dans la nature, les êtres vivants, qu’ils soient végétaux ou animaux, sont confrontés à des conditions de vie en évolution constante. Pour subsister ou survivre, ils doivent donc s’adapter, changer certains aspects de leur corps, fabriquer des substances vénéneuses, modifier leurs comportements, établir des liens de compétition (dans les cas où les ressources sont limitées où la cohabitation est nuisible), de prédation (une espèce se nourrit aux dépens d’un autre), de mutualisme (les deux espèces trouvent un avantage en termes de protection, de nutrition, de pollinisation, etc.), ou de symbiose (les deux espèces ne peuvent pas vivre l’un sans l’autre).
L’intelligence des animaux et des plantes
L’intelligence d’un être vivant, c’est-à-dire sa capacité à s’adapter à son environnement, résulte de l’intelligence des relations internes entre ses propres constituants (atomes, molécules, cellules, organes…etc) et des relations avec son milieu extérieur. L’intelligence d’un groupe est le produit de l’émergence de l’intelligence de l’ensemble de ses membres en relation avec son milieu extérieur.
L’intelligence collective s’observe chez de nombreux animaux, par exemple les insectes sociaux (fourmis, abeilles, termites…etc.), les espèces se déplaçant en formation (oiseaux migrateurs, bancs de poissons) ou chassant en meute (loups, hyènes, lionnes). L’intelligence collective existe aussi dans les relations entre végétaux et ces derniers peuvent échanger et coopérer pour maintenir des équilibres profitables à tous.
En agissant collectivement, les insectes sociaux comme les fourmis (1) sont capables de résoudre des problèmes qu’ils ne seraient pas en mesure d’affronter seuls. Individuellement chaque fourmi possède un système neuronal limité. Chaque fourmi est intégrée dans la colonie par l’intermédiaire des signaux définissant les rôles respectifs. Le travail collaboratif qui se réalise sans chef ni autorité, a pour but l’adaptation de la colonie aux conditions climatiques et aux conditions des terrains exploités, la résolution des problèmes, mais aussi l’optimisation de l’énergie et de la force.
L’ensemble des organismes vivants qui habitent notre terre résulte d’équilibres (ou écosystèmes) qui se sont construits pendant des millions d’années, en réponse à des influences systémiques endogènes et exogènes. Ces organismes sont interdépendants et n’existent qu’au travers de leurs connexions et de leurs interactions. Tout ce qui est vivant ne survit et ne se développe que par les liens établis avec son environnement.
Pour des biologistes tels que Pablo Servigne et Gauthier Chapelle (2), qui ont fait la synthèse des connaissances récentes en matière d’évolution, le moteur de l’évolution est bien plus l’entraide que la loi du plus fort. Dans la nature, la coopération est bien plus présente que la compétition, chez toutes les espèces, et depuis toujours. C’est plus qu’une loi, c’est un principe du vivant. Ce ne sont pas les espèces les plus fortes qui survivent, mais celles qui ont su le plus coopérer avec leur environnement, afin de créer quelque chose qui au final est toujours supérieur à la somme des parties. La nature nous enseigne également que c’est dans les périodes d’instabilité et de pénurie que les organismes vivants développent des mécanismes d’intelligence collective dont le but est l’adaptation ou la préservation. Seules les périodes de stabilité et d’abondance peuvent être propices à la compétition.
La prédominance de la coopération sur la compétition n’est pas une idée nouvelle car Charles Darwin le disait déjà au XIXe siècle, de même que le géographe russe Pierre Kropotkine au début du XXe siècle. Ces théories qui découlent de l’observation de la nature ont été par la suite oubliées ou déformées, au profit d’une version “orientée” de l’évolution darwinienne. A l’époque où Charles Darwin menait ses travaux, il était courant de se servir des découvertes de la science pour justifier toutes sortes d’idéologies. « Les théories de la sélection naturelle et de la survie du plus fort collaient bien avec la logique d’un capitalisme naissant, les politiques expansionnistes européennes, le colonialisme, la domination de peuples par d’autres ». « Depuis 30-40 ans, cette idéologie s’est immergée dans le néolibéralisme, une culture de l’égoïsme généralisé, toxique pour la société ».
Pour Pablo Servigne et Gauthier Chapelle, cette culture de l’égoïsme et de la compétition à outrance désagrège la cohésion sociale, en particulier en accroissant les inégalités et en augmentant le niveau de stress et d’agressivité. Les auteurs citent les travaux de l’expert en zootechnie William Muir dans les années 1990 sur les poules pondeuses. En regroupant les poules les plus performantes comme pondeuses, il a constaté que les poules ne cessaient de s’agresser dans une compétition généralisée et que la production chutait rapidement. Dans un autre groupe de poules faisant coexister toutes les caractéristiques de pondeuses, les rendements augmentaient de façon importante. C’est ce que les biologistes appellent la “symbiodiversité”, un état d’équilibre naturel entre compétition et coopération.
Dans le monde du vivant, l’humain est une espèce à part
Il y a bien sur une continuité entre le monde animal et humain. A l’aube de l’humanité, la capacité à coopérer était une des conditions de la survie du groupe. L’empathie est donc inscrite au plus profond de notre être et l’entraide est en grande partie spontanée chez l’être humain, comme de nombreux travaux l’ont démontré sur de très jeunes enfants.
Ce qui distingue profondément l’humain des autres animaux, c’est l’importance donnée au développement de la notion de culture, dans des sociétés de millions ou dizaine de millions d’individus. Même si les règles et normes culturelles influencent profondément les relations humaines en favorisant les stratégies individualistes, l’entraide et la coopération restent des capacités fondamentales du monde vivant. Pour les scientifiques actuels, la séparation entre nature et culture ne serait qu’un mythe de la modernité.
Mais contrairement à l’intelligence de la nature qui a un caractère très prévisible, l’homme conserve la capacité à s’affranchir des contraintes culturelles, pour retrouver son empathie naturelle et mettre ses capacités d’entraide au service de nouveaux projets. De plus, l’homme est le seul animal capable de déterminer de déployer des compétences de chef de projets individuels et collectifs. L’homme est un animal qui serait en mesure de choisir son destin et celui de sa communauté.
Tout au long de ses révolutions cognitives, agricoles, industrielles, l’humain a développé d’exceptionnelles capacités d’adaptation individuelles et collectives, et a cru ainsi pouvoir dominer la nature et le vivant. Cette illusion l’a coupé de l’intelligence du vivant. Les hommes ont construit des organisations dont les relations étaient basées sur le pouvoir, la domination et la compétition individuelle. Les principes qui permettent au collectif de donner le meilleur de lui-même, à savoir l’empathie, la bienveillance, la confiance, l’autonomie… ont été le plus souvent délaissés. Les hommes ont conçu des organigrammes pyramidaux « top down », qui symbolisent une chaîne de commandements, le cloisonnement des fonctions et des personnes, et qui illustrent une vision mécaniste et tayloriste de l’organisation humaine. Cette organisation pyramidale repose sur le présupposé que les collaborateurs ne peuvent être fiables et performants en dehors d’un contrôle. Les relations reposent sur la défiance et non la confiance. Hors il ne peut y avoir d’intelligence collective dans une relation de méfiance. La structure de cette organisation pyramidale s’oppose radicalement à la mise en œuvre de l’intelligence collective. Cette structure fige les idées, les interactions et la créativité. Vouloir créer de l’intelligence collective au sein d’un système hiérarchisé est voué à l’échec. C’est une des raisons pour laquelle tant d’experts du management ont recommandé la réduction ou la disparition des niveaux hiérarchiques.
Quelques histoires d’organisations collectivement intelligentes
Les organisations ont bien compris que pour s’adapter et prospérer durablement dans un environnement complexe et instable, elles avaient besoin d’un bon niveau d’agilité, d’adaptabilité et de créativité. Robert Dilts nous en donne un exemple en citant le cas d’une équipe de travail de 20 personnes qui dans le champ des télécommunications, a été capable de faire bien mieux qu’une équipe de 1000 personnes. Comment expliquer cela ? La différence qui fait la différence est dans la mise en œuvre des mécanismes de l’intelligence collective, dont le but est de renforcer aussi bien le tout que ses parties. Ceux qui voudront reproduire ce type de miracle ne doivent pas oublier que les meilleurs enseignements en matière d’intelligence collective viennent de la nature.
« Houston… we’ ve had a problem »
Le 14 avril 1970, à 3 heures du matin, Jack Swigert annonce la panne du vaisseau de la mission Apollo 13 en route vers la Lune. L’un des réservoirs d’oxygène du module Odyssey a explosé, le rendant totalement inhabitable. Les trois astronautes se réfugient dans le module lunaire Aquarius prévu pour deux. Au siège de la NASA, une course contre la montre s’organise pour ramener les trois hommes sains et saufs sur Terre. Les probabilités de réussite sont très faibles. La décision est de poursuivre le trajet vers la lune et utiliser l’orbite lunaire pour revenir sur Terre. Dans l’Aquarius, les réserves d’eaux sont réduites et les astronautes risquent de mourir étouffés par le taux de CO² qui augmente rapidement. En un temps record, les ingénieurs de la Nasa arrivent à bricoler un filtre à air pour éliminer l’excès de CO². Les astronautes sont sauvés. Cet exploit a été possible, car pendant trois jours, les frontières entre métiers, fonctions, services ou départements ont été abolies. Un cerveau collectif s’est mis en place autour d’un seul objectif, celui du sauvetage de l’équipage.
Les Beatles : l’unanimité comme force
Dans son livre « Découvrir l’intelligence collective », Olivier Piazza (7) évoque les pratiques collectives des Beatles. « Les Beatles ne répliquaient aucune recette connue. Ils traçaient leur propre chemin, en toute autodétermination, sans crainte du jugement des autres, connectés à leur plaisir de jouer et de s’amuser. C’est ainsi ce comportement collectif qui leur a valu de signer chez EMI…Aussi surprenant que cela puisse paraître au vu du statut incroyable de John Lennon ou de Paul McCartney, les Beatles étaient un groupe sans leader unique. Georges Harrison souligne : « Chez nous, chacun fait partie d’un tout. » Les Beatles en tant que super-Organisme ! « Nos costumes faisaient de nous une seule et même personne » complète McCartney. Toutes leurs décisions étaient prises à l’unanimité. « J’ai toujours été fier qu’on formait une démocratie. C’était une des caractéristiques de The Beatles : pour qu’une idée soit mise en action, il fallait que nous votions tous les quatre pour décider » dit aussi Paul McCartney.
La résolution d’énigmes médicales
En 2014, le Undiagnosed Disease Network (3), a été créé aux USA par les National Institutes of Health. Un réseau interdisciplinaire d’une centaine de médecins détectives a été constitué sous la coordination de la Harvard Medical School, pour tenter de porter un diagnostic sur des maladies restées mystérieuses depuis bien des années. Le réseau de médecins a jusqu’à présent découvert 132 des 382 maladies auparavant inconnues, soit environ 35 pour cent. 80% des diagnostics réalisés par le réseau médical, a permis des améliorations thérapeutiques, diagnostiques ou préventives.
Des habitants transforment leur ville
La petite ville japonaise d’Iwate (4) était sinistrée, puisque les usines fermaient les unes après les autres. Le maire, Hiroya Masuda, eut l’idée en 2001 d’inviter ses 8800 administrés à rassembler leurs idées dans des « boîtes à suggestions » pour faire de leur cité une slow city (ville lente) qui replace la relation humaine au centre des choses, par exemple une ville dans laquelle les habitants pourraient rentrer tôt à la maison, se promener en famille et bavarder avec leurs voisins. En moins de dix ans, Iwate est devenue la première ville du japon en matière de tourisme vert et d’énergies renouvelables. Là aussi la clé de la réussite réside dans l’intelligence collective de ses habitants.
Le mouvement de la libération de Kiabi
Les dirigeants de Kiabi (5) mènent depuis 2012 ce qu’ils appellent « le mouvement de la libération de Kiabi », qui s’articule autour de 3 valeurs clés a) Aligner l’ensemble des personnes de l’écosystème, b) Prendre des décisions avec audace et autonomie, c) Donner à chacun la possibilité de contribuer à quelque chose de plus grand que soi. La transformation de l’entreprise avait pour but d’impacter la performance sociale et économique de l’entreprise, en créant un environnement de bien-être par une écoute authentique et véritable fondée sur « la tête, le cœur et les tripes », en libérant la parole et la capacité à donner du feedback, et en mettant en place un cadre commun de construction des axes du développement pour les dix ans à venir, un cadre dans lequel l’ensemble des collaborateurs étaient invités à partager leurs idées, et enfin en réinventant collectivement l’organisation. En 2018, les dirigeants déclarent être fiers du niveau d’engagement et d’implication que cette libération a apporté au sein de l’entreprise ; de l’apprentissage qui en a découlé, avec une vraie volonté de transmettre le savoir-faire de façon organisée, et enfin de la liberté de parole et la confiance au sein de l’entreprise. L’engagement des collaborateurs chez Kiabi est mesuré par une écoute quotidienne, et Kiabi a obtenu la 2e place du Palmarès Best Workplaces France 2018
L’aventure des bikers d’Harley Davidson
En 1983, Harley Davidson (15) est une entreprise au bord de la faillite. Ses dirigeants mettent alors en place un plan d’action permettant aux collaborateurs de proposer des idées innovantes et de les réaliser ensemble. Un des salariés propose la création des Harley Owners Group (Hog). Vingt ans après, ils sont près d’un million d’adhérents à travers le monde et 10 000 en France à appartenir à ce formidable outil de fidélisation et de relation clients. Chaque concessionnaire Harley a l’obligation de créer une association qui devient l’un des “chapters” du Hog français, lui-même branche du club mondial. Les nouveaux clients se voient offrir la première année de cotisation au “chapter” de sa concession. « Les membres se retrouvent régulièrement pour faire vivre le club et créer des événements autour de la marque », explique François Tarrou, directeur marketing Harley-Davidson France. « Nous ne menons quasiment pas d’opération de marketing direct offensive sur le fichier de membres du Hog français, car nous ne les considérons pas comme de simples consommateurs. Nous préférons développer avec eux un fort sentiment d’appartenance à la marque ». Les clients adhérents dépensent en moyenne 40 % de plus que les clients non-adhérents. D’autres collaborateurs de Harley Davidson ont également inventé un nouveau design de moto et un nouvel arbre de transmission, plus performant. Ces innovations ont rapidement redressé l’entreprise qui a alors renoué avec la croissance.
La victoire des Bleus au mondial de foot
Trois facteurs semblent avoir été réunis pour permettre aux Bleus d’être champions du monde en 2018 : 1) Le leadership assumé de Didier Deschamp (6) qui transparaît au travers de son expérience de sélectionneur, de sa capacité à influencer et à fédérer un collectif, de sa capacité à définir un cadre et à le faire respecter par les équipes, et de sa capacité à créer un climat de confiance ; 2) La construction d’un groupe soudé et fraternel qui a constitué une force collective redoutable. Didier Deschamp a sélectionné de jeunes joueurs compétents, aux personnalités très différentes, mais surtout capables de jouer collectif. Il a aussi créé un cadre dans lequel l’exigence, l’exemplarité et l’équité primaient ; 3) Le partage d’un objectif commun, celui de la victoire. Didier Deschamps invitait ses joueurs à apprendre de leurs échecs passés (l’Euro 2016 pour certains joueurs), pour faire différemment à chaque nouveau match et contribuer à la victoire.
La victoire des Bleus a transformé son leader lui-même, qui a appris à transparaître ses émotions au fil des matchs, ce qui était bien peu dans ses habitudes.
Le regard de la science sur l’intelligence collective
Les histoires de réussites collectives illustrent bien le propos de cet article. Des histoires qui racontent toutes que la pensée collective est de qualité bien supérieure à la somme des individus qui la compose. Devant cette affirmation, la science serait en droit de demander des preuves. Deux travaux peuvent répondre à cette exigence de preuve.
Les conditions d’apparition de l’intelligence collective
Thomas Malone du Centre pour l’intelligence collective du MIT (8) a étudié, avec l’aide de chercheurs de diverses universités, les conditions d’apparition d’une intelligence collective. Leurs deux études ont impliqué 699 sujets, regroupés en des petits groupes de deux à cinq personnes à qui on demandait de répondre à une batterie de tests, puzzles et autres jeux.
Si les chercheurs ont en effet mis en évidence que la réflexion collective pouvait dans certaines situations, se montrer supérieure à celle des individus, ils ont aussi démontré une grande variabilité des performances des groupes, allant de 30 à 40 %. Ils ont ainsi pu isoler les trois facteurs qui doivent être réunis pour permettent la réussite d’une intelligence collective. La “bonne ambiance” du groupe n’est pas un élément discriminant, ni la motivation des participants, ni le niveau intellectuel des individus impliqué. Par contre trois facteurs font toute la différence :
1- la sensibilité sociale des participants, c’est-à-dire la facilité qu’a un sujet à déduire l’état émotionnel d’autrui en observant son regard. Cette sensibilité sociale a été calculée en soumettant chaque sujet au test de “lecture de l’esprit dans les yeux”. On montre aux participants des photos des yeux d’autres personnes et on leur demande de deviner quelle émotion ressent la personne sur la photo.
2- le partage équitable du temps de parole. Quand une ou deux personnes dominaient la conversation, le groupe était en moyenne moins intelligent.
3- la proportion de femmes dans le groupe. S’il y avait plus de femmes dans le groupe, le rendement du groupe serait meilleur. En général, plus le ratio femmes/hommes est élevé, meilleure est la performance.
Ces trois facteurs montrent que l’intelligence émotionnelle apparaît comme l’ingrédient fondamental de la réussite de l’intelligence d’un groupe. Cette recherche montre également à quel point la nature de la collaboration est bien plus physique qu’intellectuelle.
L’intelligence collective fait bien plus appel au corps qu’au mental
Comment l’intelligence collective s’exprime-t-elle au niveau de notre système nerveux ? Deux études scientifiques apportent des réponses.
L’une portait sur la conversation entre deux personnes et utilisait la résonance magnétique fonctionnelle. L’autre, menée par une équipe de jeunes chercheurs français, s’est intéressée à la communication non verbale et a recouru à l’électro-encéphalographie (EEG) comme procédure de test. Deux recherches à la fois très proches par le sujet abordé, mais très différentes tant par la procédure expérimentale que par les outils de mesure, donc ;
La première étude du psychologiste Uri Hasson de la Princeton University (10) : une participante de l’équipe a placé sa tête dans un appareil d’imagerie cérébrale (IRM) tout en racontant devant un magnétophone une histoire remontant à ses années de lycée. Pendant ce temps, l’IRM enregistrait ses états cérébraux. Puis on a soumis 11 sujets à l’IRM, en leur faisant écouter l’enregistrement de l’histoire. Dans un grand nombre de cas, le sujet “allumait” les mêmes zones cérébrales, au même moment, que celles activées par la conteuse qui déroulait son récit. Si le plus souvent, un délai de deux ou trois secondes intervenait, dans d’autres cas certains de la zone cérébrale s’éveillait chez le sujet juste avant son activation chez la conteuse ; cet effet serait dû, selon les chercheurs, à l’anticipation du récit par l’auditeur. Enfin, on a demandé aux sujets de raconter l’histoire entendue. Les passages dont ils se souvenaient le mieux étaient ceux pour lesquels les aires cérébrales avaient été le mieux “synchronisées”.
La seconde étude est Française et due à Dumas G, Nadel et Coll.(2010) (11). On a demandé à des couples de participants d’échanger avec des gestes de la main sans signification particulière, chacun étant libre d’imiter l’autre ou non. Dans le même temps, les ondes cérébrales des sujets étaient enregistrées par EEG. Les résultats montrent qu’une synchronisation émergeait entre certaines parties des deux cerveaux lors de la communication gestuelle, une communication non verbale qui joue un rôle important dans les relations sociales. Par rapport à l’IRM, l’usage de l’EEG permet une précision à la milliseconde, et permet surtout d’enregistrer de façon simultanée l’interaction des cerveaux des deux partenaires. Cette mesure est séquentielle avec les IRM.
Ces deux recherches très proches par le sujet abordé, et très différentes par les outils de mesure, apportent des conclusions similaires : si l’intelligence individuelle est fonction du corps et ne peut être séparée de celui-ci, l’intelligence collective doit aussi beaucoup au corps et ne peut se réduire à un simple échange intellectuel.
Le mimétisme ne commence pas avec le règne humain ou animal, il s’agit d’un puissant moyen de sélection et d’adaptation, d’apprentissage, que l’on rencontre dans toute la chaîne du vivant, aussi bien chez les végétaux que chez les animaux. Le mimétisme consiste, pour un végétal ou un animal, en l’imitation de son environnement. En tant que stratégie, le végétal et l’insecte tendent à imiter les couleurs et/ou les formes ; en tant qu’intégration sociale, l’animal tend à imiter ses congénères.
Dans une démarche d’intelligence collective, commençons par mettre notre intellect de côté. Car pour synchroniser nos cerveaux, commençons par synchroniser nos comportements et notre gestuelle, comme nous invite si souvent Robert Dilts à le faire dans ses formations.
Les leçons du projet Aristote de Google
Pour mieux comprendre le secret des équipes efficaces, Google lance en 2012 le projet Aristote (13). Le nom du projet fait référence aux propos célèbre du philosophe grec. « Le tout est plus grand que la somme des parties ». Cette étude a porté sur 180 équipes de Google dont l’efficacité fut évaluée par divers intervenants internes. Si les paramètres portant sur les membres de l’équipe (données démographiques et personnalités) n’ont pas mis à jour de facteurs discriminants, c’est le regard systémique et dynamique (fonctionnement de l’équipe, climat psychologique) qui a permis d’identifier la différence qui fait la différence. Les conclusions de l’étude montrent que les facteurs associés à la performance d’une équipe efficace sont par ordre d’importance les suivants :
La sécurité psychologique : chaque membre de l’équipe peut prendre le risque de donner son avis, de se tromper, de faire des erreurs, sans que ses collègues ou sa hiérarchie portent un jugement sur lui, et sans que cela n’ait de conséquences négatives pour lui dans l’entreprise. Ce point se rapporte au niveau de confiance pouvant exister au sein des membres de l’équipe. La question à se poser est : “Si je fais une erreur, elle ne sera pas retenue contre moi ”.
La dépendance : chaque membre de l’équipe peut compter sur les autres et les autres peuvent compter sur lui. Quand quelqu’un prend l’engagement de réaliser une tâche, il le fait réellement. Ce point se rapporte au potentiel d’entraide pouvant exister au sein de l’équipe. La question à se poser est : « Quand mes collègues s’engagent à faire quelque chose, ils le font réellement ? ”.
La clarté des rôles : les fonctions, les objectifs et les attentes sont clairement définies et les moyens pour les réaliser sont disponibles. Ce point se rapporte aux frontières entre fonctions des uns et des autres, donc aux possibilités de reconnaître et valoriser chacun dans sa différence, et également de lever toute crainte de chevauchements de territoires ou d’ambiguïtés de communication. La question à se poser est : « Notre équipe a-t-elle un processus de décision efficace ? ”.
Le sens donné à l’activité : chaque membre de l’équipe a le sentiment que sa fonction ou son travail fait du sens pour lui. Ce point se rapporte à la capacité individuelle à se motiver en faisant des liens de cause à effet ou d’égalité entre ses activités et son système de valeur. La question à se poser est : “Le travail que je fais pour mon équipe a-t-il du sens pour moi ? ”.
la contribution ou impact : ce que l’équipe réalise change les choses et contribue à la réalisation des objectifs de l’entreprise (vision, mission, ambition). Ce point se rapporte au cadre de pensée susceptible de fédérer les énergies dans une direction commune et d’accueillir l’ensemble (intégrer et transcender). La question à se poser est : “Suis-je en mesure de comprendre comment le travail de mon équipe contribue aux objectifs globaux de notre entreprise ? ”.
Les résultats de l’étude Google montrent que les facteurs de performance se trouvent dans l’invisible, sous forme de trois liens distincts : les liens à SOI, ce qui relie chaque membre de l’équipe à son activité (structure et clarté, sens donné à l’activité) ; les liens aux AUTRES, ce qui relie les individus entre eux (sécurité psychologique et dépendance) ; les liens au TOUT, ce qui relient l’ensemble des membres de l’équipe à un but bien plus grand que les objectifs individuels.
Suite de l’article Intelligence collective et leçons du vivant 2/2
Les formations de l’Institut Repère sur l’intelligence collective : Leadership et Intelligence collective, avec Michael Ameye
Références
(1)- L’intelligence collective des fourmis dans les GPS ; LE MONDE | 29.06.2016 ; https://www.lemonde.fr/sciences/video/2016/06/29/l-intelligence-collective-des-fourmis-dans-les-gps_4960260_1650684.html
(2) L’entraide, l’autre loi de la jungle (Les Liens qui Libèrent, 2017), des biologistes Pablo Servigne et Gauthier Chapelle
(3) Hundreds of patients with undiagnosed diseases find answers, study reports ; Ashley et coll. The New England Journal of Medicine. Oct. 11
(4) Redécouvrez l’intelligence collective ; HBR ; Le 05/04/2017 ; par Boris Sirbey ; https://www.hbrfrance.fr/chroniques-experts/2017/04/15129-intelligence-collective/
(5) Kiabi : histoire d’une transformation culturelle et stratégique https://www.greatplacetowork.fr/news/kiabi-histoire-dune-transformation-culturelle-et-strategique/
(6) Management : la recette Deschamps pour être champion du monde. Pierre Lelièvre le 20 juil. 2018 Revue Chef d’Entreprise http://www.chefdentreprise.com/Thematique/rh-management-1026/Breves/Management-recette-Deschamps-champion-monde-332999.htm
(7) Découvrir l’Intelligence collective, Olivier Piazza, InterEdition 2018
L’intelligence collective à petite échelle, Article de Rémi Sussan dans LeMonde Tech; InternetActu | 03.12.2010
(8) Strategy Business May 12, 2014 / Summer 2014 / Issue 75 ; Thomas Malone on Building Smarter Teams; The head of MIT’s Center for Collective Intelligence explains how the social intelligence factor is critical for business success. by Art Kleiner https://www.strategy-business.com/article/00257?gko=94468
(9) Anita Williams Woolley, Christopher F. Chabris, Alexander Pentland, Nada Hashmi, and Thomas W. Malone. Evidence for a Collective Intelligence Factor in the Performance of Human Groups. Science, September 30, 2010 DOI: 10.1126/science.1193147
(10) Good conversation results in a ‘mind meld’ ; July 27, 2010 by Lin Edwards, Medical Xpress https://medicalxpress.com/news/2010-07-good-conversation-results-mind-meld.html
(11) Inter-Brain Synchronization during Social Interaction ; Guillaume Dumas, Jacqueline Nadel, Robert Soussignan, Jacques Martinerie, Line Garnero, PLOS ; August 17, 2010 https://doi.org/10.1371/journal.pone.0012166
(12) Conférence de Frances Frei pour TED sur la confiance https://www.ted.com/talks/frances_frei_how_to_build_and_rebuild_trust/transcript?language=fr#t-893714
(13) Le projet Aristote : https://rework.withgoogle.com/guides/understanding-team-effectiveness/steps/introduction/
(14) Quelles différences entre la sociocratie et l’holacratie ?Les nouvelles organisations en questions Centre Français de Sociocratie http://www.sociocratie-france.fr/2018/05/quelles-differences-entre-la-sociocratie-et-l-holacratie.html
(15) Chez Harley-Davidson, les clients font partie de la famille ; Ludovic Bischoff le 1 mars 2006 ; ActionCo http://www.actionco.fr/Action-Commerciale/Article/Chez-Harley-Davidson-les-clients-font-partie-de-la-famille-16589-1.htm#xIjOY4fbWdUufjis.97
(16)- Notre Aventure ; Inov-On ; http://www.inov-on-experience.fr/notre-aventure/
(17) Intelligence collective et Collaboration Générative- SFM II, Robert Dilts
Un article de Jean Luc Monsempès issu du site de l’excellent Institut Repère