15 février 1990 : Nelson Mandela se réveille comme toujours à 5 heures du matin et commence son programme d’exercices d’une heure. La différence, cette fois-ci, est qu’au lieu d’une cellule de prison, sa salle de gym est une pièce de sa maison « boîte d’allumettes » – appelée ainsi pour sa petite taille – située au 8115 Vilakazi Street, à Soweto. Et que, bientôt, il sera assiégé par des journalistes, des sympathisants, des diplomates et des membres de sa famille qui viendront le saluer après sa sortie de prison quatre jours plus tôt.
Je l’interviewe quelques heures plus tard pour lui demander ce qu’il a prévu de faire. Ses réponses sont claires et concises et je suis trop nerveux pour approfondir. Mais vers la fin, je lui pose une question sur la boxe, et son attitude réservée change soudain. Rayonnant de joie, il commence à parler de ses boxeurs préférés et de la façon dont il a suivi l’actualité de ce sport en prison.
Mandela a commencé la boxe quand il était étudiant à l’université de Fort Hare. Il s’est mis à s’entraîner plus sérieusement pendant ses années d’études, de travail et de lutte à Johannesburg dans les années 1940 et 1950, bien qu’il ne soit pas allé jusqu’à combattre en compétition. Des décennies plus tard, il se montrait modeste sur son niveau : « Je n’ai jamais été un boxeur exceptionnel », a-t-il écrit dans son autobiographie Long Walk to Freedom.
« J’étais dans la division des poids lourds, et je n’avais pas assez de puissance pour compenser mon manque de vitesse, ni assez de vitesse pour compenser mon manque de puissance. »
Il appréciait particulièrement la rigueur de l’entraînement – une routine périodiquement rompue par les arrestations et les exigences de la « lutte ». Il écrivait ainsi :
« Je passais ma colère et ma frustration sur un punching-ball plutôt que de m’en prendre à un camarade ou même à un policier. »
Se réfugier dans l’exercice
Mandela considérait que cette routine était la clé à la fois de sa santé physique et de sa tranquillité d’esprit.
« L’exercice dissipe les tensions, et la tension est l’ennemie de la sérénité. J’ai découvert que je travaillais mieux et pensais plus clairement lorsque j’étais en bonne condition physique, et je me suis donc inflexiblement plié, toute ma vie durant, à la discipline de l’entraînement.»
Quatre matins par semaine, il partait courir et trois soirs par semaine, il s’entraînait dans une salle de boxe de Soweto – sa façon de se perdre « dans quelque chose qui n’était pas la lutte ». Il disait qu’il se réveillait le lendemain matin en se sentant plus frais, « mentalement et physiquement plus léger » et « prêt à repartir au combat ».
À partir de 1960, Mandela s’est mis à organiser la campagne clandestine de la branche militaire du Congrès national africain, umKhonto weSizwe, se déplaçant dans tout le pays déguisé en chauffeur et se rendant à l’étranger pour rallier des soutiens, si bien que son entraînement à la boxe est devenu sporadique. Le « Mouron noir », comme on l’appelait (« Black Pimpernel », en référence au héros du roman de cape et d’épée britannique The Scarlet Pimpernel, le « Mouron rouge »), a été arrêté en 1962 – suite, comme on l’a appris plus tard, à un tuyau donné par la CIA à la police de l’apartheid – et a passé les 27 années et demie suivantes en prison, dont dix-huit à Robben Island.
La vie derrière les barreaux
À l’arrivée de Mandela à Robben Island, un gardien de prison a ricané : « Bienvenue dans l’île. C’est ici que tu vas mourir. » Une partie de la difficulté de sa vie de prisonnier consistait à s’habituer à la monotonie. Comme il l’a formulé lui-même :
« La vie en prison est une question de routine : chaque journée est identique à la précédente, chaque semaine également, de sorte que les mois et les années se fondent les uns dans les autres. »
La routine quotidienne du matricule 46664 consistait en un travail manuel exténuant : il s’agissait de travailler dans une carrière pour extraire le calcaire en utilisant de lourds marteaux pour briser les roches en gravier. Ce travail était épuisant, mais Mandela n’en a pas pour autant abandonné ses exercices physiques d’antan. Désormais, le rituel commençait à 5 heures du matin et se déroulait dans une cellule humide de 2,1 mètres carrés plutôt que dans une salle de boxe de Soweto trempée de sueur. « J’ai essayé de suivre mon ancienne routine de boxe, qui consistait à faire de la course et de la musculation », a-t-il expliqué.
Il commençait par courir sur place pendant 45 minutes, suivi de 100 pompes avec doigts en extension, 200 abdos, 50 flexions profondes des genoux et des exercices de gymnastique appris lors de son entraînement en salle (à l’époque, et aujourd’hui encore, cela comporte des sauts en étoile et des « burpees » – des mouvements où l’on commence debout avant de s’accroupir, de poser les mains au sol, de projeter ses pieds en arrière, puis de revenir en position accroupie et de se relever).
Mandela se tenait à cette routine du lundi au jeudi, puis se reposait pendant trois jours. Il a tenu ce rythme même pendant ses nombreux séjours en isolement.
Vaincre la tuberculose
En 1988, âgé de 70 ans, il contracte une tuberculose qu’exacerbe l’humidité de sa cellule. Il est admis à l’hôpital, toussant du sang. Transféré dans la maison d’un gardien de prison à Victor Verster Prison près de Paarl, il reprend rapidement une version tronquée de son programme d’exercices, qui comprend désormais des longueurs de piscine.
Il est libéré de prison, avec d’autres prisonniers politiques, le 11 février 1990, neuf jours après la levée de l’interdiction du Congrès national africain et d’autres mouvements de libération. Il devient ensuite le premier président d’une Afrique du Sud démocratique, poste qu’il a occupé de 1994 à 1999.
Naturellement, lorsqu’il a atteint la barre des 80 ans, il a allégé son programme d’exercices mais ne l’a jamais abandonné. Il est décédé le 5 décembre 2013, à l’âge de 95 ans, d’une infection respiratoire.
Mandela pensait que l’habitude de faire de l’exercice toute sa vie durant l’avait aidé à survivre à la prison et à en sortir prêt à relever les défis qui l’attendaient. « En prison, il était absolument essentiel d’avoir un exutoire pour mes frustrations », a-t-il déclaré – des mots qui parleront sans doute à tous ceux qui se retrouvent aujourd’hui, du fait de l’épidémie de Covid-19, contraints d’affronter des mois de confinement dans des conditions d’exiguïté…
Gavin Evans, Lecturer, Culture and Media department, Birkbeck, University of London
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.