Par Challenges.fr le 27.11.2018 à 11h40
Dans le cadre des Entretiens de Valpré, dont Challenges est partenaire, l’entrepreneur Paul Petzl, à la tête d’un des leaders de matériel d’alpinisme, a tenu le 16 novembre 2018 une leçon magistrale sur la confiance et le risque en entreprise. Extraits de son intervention.
Fils de spéléologue, Paul Petzl est à la tête d’une petite multinationale spécialisée dans le matériel de sports « extrêmes ». AFP
Il y a 45 ans, l’histoire est partie de la passion de mon père pour la spéléologie où lorsque vous rentrez dans la grotte, il faut voir et, au premier puits, il faut descendre et, ensuite, remonter. D’où notre développement dans les éclairages mais, aussi, à partir de la corde, dans des outils pour descendre, remonter et s’assurer.
Vous l’avez compris, la pérennité de notre entreprise est d’avoir mis la confiance avec ses clients au centre de toutes nos préoccupations; confiance qui se traduit, également, avec les parties prenantes qui sont nos employés et nos partenaires industriels. Une entreprise est un tout et il ne peut pas y avoir de maillon faible dans la relation de confiance. Sans doute, à travers le monde, ce sont 4 à 5 millions de personnes qui sont accrochées à nos produits en permanence; d’où l’importance de fournir des outils sûrs à nos clients.
La confiance, c’est bien ce vers quoi on tend en toutes circonstances chez Petzl. C’est central et, aujourd’hui, notre marque inspire une vraie confiance. Cette confiance s’est construite dans le temps par des situations concrètes et visibles même suite à des incidents ou accidents très médiatisés.
Trois préceptes liés à une « situation de crise »
Voici la première règle que j’ai retenue et apprise: il faut montrer et être transparent pour renforcer la confiance surtout en situation de crise comme nous en avons vécu. Exemple: films de production, tests, contrôles internes, visites d’usines ciblées. Lorsque nous avons eu un accident malheureux il y a 10 ans suite à une erreur en production, nous avons remis en question collectivement nos process et mis en place un principe d’amélioration continue que nous n’avions pas jusqu’alors.
La deuxième leçon que nous avons tirée, c’est qu’une organisation doit toujours être en mouvement, réactive et agile face aux risques principaux de l’entreprise. Avant, nous pensions être bons, nous étions satisfaits et trop confiants; d’où notre perte de conscience de la réalité. Depuis, chaque erreur est devenue une belle opportunité pour progresser collectivement pour, au final, réduire les risques pour nos clients et pour l’entreprise.
D’où ma troisième leçon. Il faut des points de mesure de notre réalité. Le risque zéro n’existe pas. Les erreurs sont possibles et pardonnables mais, lorsque celles-ci sont constatées, il faut agir vite, changer et le dire en montrant notre sincérité et la vérité. La confiance peut revenir mais elle peut se perdre définitivement. La communication doit être immédiate, sincère et la plus large possible face aux communautés que l’on sert.
Partage des décisions et amélioration continue
Une dynamique de croissance se nourrit, avant tout, de cette confiance comme notre lien social interne et personnel se nourrit, également, de cette confiance. Au début, Petzl produisait 10 produits par jour. Nous étions deux, mon frère et moi, et nous maîtrisions tout. Aujourd’hui, ce sont 40.000 produits par jour et nous employons près de 1.000 personnes.
D’où la question: comment assurer cette exigence de qualité et, donc, notre dépendance a cette nécessité de la qualité du travail collectif mais, aussi, chez nos partenaires industriels? Quelles solutions concrètes mettons-nous en place pour développer cette confiance que nous déléguons sur l’ensemble de nos collaborateurs et partenaires? Nous avons besoin de l’engagement de nos employés et partenaires. La confiance est centrale car sans confiance, il n’y a pas d’engagement. Par contre, cela nécessite de se mettre d’accord sur les modes de production, sur les points de contrôle, sur les objectifs, sur la manière de manager les hommes.
Chez Petzl, il n’y a plus d’incitation individuelle sur la qualité, la productivité mais un partage collectif de 15% de notre résultat net. Nous avons limité les niveaux hiérarchiques à quatre et mis en place des modes de production où les problèmes se résolvent collectivement au plus proche de ceux qui subissent les dysfonctionnements. Nous transformons, progressivement, une hiérarchie sachante en une hiérarchie servante auprès des collaboratrices et collaborateurs afin de les faire grandir.
Nous travaillons, de plus en plus, en équipe projet autour de l’amélioration continue mais, sincèrement, nous sommes encore loin de ce que nous voulons atteindre. Après quelques règles de fonctionnement collectif que j’ai intégrées par nécessité et de par ma responsabilité dans notre entreprise, j’ai réfléchi sur comment, à titre personnel, je construis la confiance en moi en tant qu’individu.
La nécessité d’avoir un guide
En alpinisme, en escalade, quand on s’attaque à de grandes falaises, il faut avoir de la confiance en soi pour vaincre ses peurs tel que le vide, les difficultés à surmonter, se tromper d’itinéraire y compris d’avoir suffisamment de résistance et d’expérience pour sortir en haut de la voie. Pour ma part, je prends toujours un guide car lui sait ce que je ne sais pas. Je lui fais confiance. Je m’en remets à lui mais je vérifie toujours qu’il est un bon guide.
Il aura à pallier toutes mes incertitudes et inquiétudes. Ainsi, je pars plus tranquille. Je choisis toujours un guide qui me permettra de progresser en apprenant ce que je ne sais pas ou ce que je n’imagine pas au niveau des risques. J’attends de lui qu’il s’adapte à moi en fonction de mon niveau physique et psychique du moment. Je retrouve toujours la question centrale de la confiance en l’autre comme je le vis dans l’entreprise.
Sept idées clés pour renforcer la confiance
Au risque de me répéter, j’ai listé les idées clés qui renforce la confiance:
1. La confiance est un choix et se construit dans le temps;
2. La confiance se construit sur la rationalité et la réalité;
3. La confiance naît de la franchise en conjuguant honnêteté et sincérité. En parlant vrai, on gagne, alors, du temps, de l’intérêt et de la considération;
4. La confiance, c’est, avant tout, convaincre, expliquer, apaiser et permettre à l’autre de mieux comprendre les données rationnelles d’un problème. Cela lui donnera confiance en moi;
5. La confiance, c’est accepter de rendre compte de nos actions, de nos erreurs;
6. La confiance reste une obligation d’être à la hauteur de la confiance que l’on me fait;
7. A l’opposé de la confiance, c’est la méfiance et celle-ci est le terrain de toute crise à venir.
En conclusion, mon choix personnel est de toujours prendre le risque avec discernement de la confiance en l’autre et, comme le disent souvent les Suisses, je prends souvent le risque d’être déçu en mal ou d’être déçu en bien.
Extraits de l’intervention de Paul Petzl, dirigeant de Petzl, lors des Entretiens de Valpré, dont Challenges est partenaire.