Obéir signifie «percevoir par l’intelligence », «comprendre». Sommes-nous disposés à être obéissants ?

Hanasaki/Adobe Stock

A l’origine de cette chronique, une porte à deux battants dans une ferme à côté de chez moi. Cette porte me rappelle celle qu’on voyait dans une animation pour enfants qui passait à la télé du temps de Giscard, voire de Pompidou : Aglaé et Sidonie. La chanson du générique disait «A tous les enfants qui sont obéissants nous allons dire au revoir en passant…» C’est je crois la dernière fois que j’ai entendu flatter l’obéissance quelque part, à la télé ou ailleurs. Management n’a jamais consacré de sujet à l’obéissance. Par exemple nous n’avons jamais fait de une du genre «Comment obéir au doigt et à l’œil.» Ou bien «10 tips pour devenir un collaborateur obéissant.»

Et pour cause, l’obéissance n’est plus du tout à la mode depuis Aglaé et Sidonie. Imaginez cet échange délirant si une relation m’appelait pour prendre les références d’une possible recrue : – « J’ai son CV sous les yeux, il dit qu’il a travaillé avec toi. Tu l’as trouvé comment ? »

– « Obéissant. »

Ce serait probablement le meilleur moyen de flinguer le malheureux. De même je n’ai jamais vu d’annonce de recrutement qui dirait ceci : « Vous ferez preuve de dynamisme et d’organisation. Vous saurer utilisez votre sens du relationnel et de la communication. Vous obéirez. »

50 ans ont passé depuis cette époque où l’on récompensait les écoliers obéissants avec des prix, des livres, des bons points ou même (je l’ai lu !), le droit de faire le jardin du Maître. Tout cela transposé aujourd’hui à l’entreprise constituerait probablement des humiliations et non pas une gratification.

A vrai dire, obéir est devenu un gros mot. Il avait pourtant le mérite de la clarté. Je connais par exemple un patron qui adore dire à ses collègues patrons qu’il n’aime pas les béni-oui-oui. En réalité, on n’entend pas une mouche voler lorsqu’il anime (je veux dire qu’il dirige) un Comex.

Autre exemple, que je connais de près : quand mon manager me dit «Tu me fais ça pour demain», eh bien je lui rend mon travail pour le lendemain !

J’ai souvent visité des start-up avec des salles de détente qui ressemblaient à des jardins d’enfants. Il y avait des espaces pour faire un petit dodo, des niches pour passer des coups de fil perso et même des jeux. Ces salles aménagées avec de la moquette et du pilou-pilou étaient souvent vides. Qui aurait osé y faire la sieste ou jouer à chat ?

Le contrat de travail et la nécessité impérieuse de gagner sa vie font qu’il nous faut, malgré la disparition de l’obéissance, accepter le lien de subordination qui est la contrepartie de notre bonne volonté. Quoi qu’on dise, le plus souvent nous obéissons. Ceci dit, une amie manager m’a confié cet été qu’elle avait dû gérer le coup de boule qu’un manutentionnaire avait mis à son chef d’équipe. Parfois, oui, nous désobéissons mais c’est l’exception qui confirme la règle.

Mais en ces temps de révolte, d’insoumission et de rébellion branchées, l’obéissance se drape de jolis mots : engagement, loyauté, surinvestissement, autonomie jusqu’à se convaincre que l’on obéit moins au travail qu’à soi-même.

«A tous les enfants qui sont obéissants nous allons dire au revoir en passant»… Depuis que j’ai vu cette porte à double battant qui me rappelle ce dessin animé du temps où je n’en faisais qu’à ma tête, je fredonne en boucle la chanson du générique d’Aglaé et Sidonie. A force de la chantonner bêtement, j’ai vérifié l’étymologie du mot obéir. Voilà ce que j’ai trouvé : Composé du préfixe latin «ob» et «audio» (verbe latin «audire»), issu du grec «aiô» percevoir par les sens», «percevoir par l’intelligence », «comprendre». Depuis, je n’ai plus honte d’obéir.

Cet article est issu du magazine Management

Par David Abiker ancien Drh, journaliste à Radio Classique. Réagissez à cette chronique sur Twitter @davidabiker ou sur Linkedin

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