Tant pis pour les romantiques ! Selon les lois de la biologie, l’amour est un processus chimique de courte durée. Dans son ouvrage, Petits Arrangements avec l’amour, Lucy Vincent, neurobiologiste, explique comment chacun de nous peut s’en accommoder… et prolonger la vie de son couple.
Docteur en neurosciences et chercheur au CNRS, Lucy Vincent est aussi l’auteur de Comment devient-on amoureux ? (Odile Jacob, 2004). Un ouvrage iconoclaste et abondamment commenté, dans lequel elle détaille la mécanique biologique du coup de foudre. Elle poursuit aujourd’hui ses recherches sur la programmation génétique des rapports humains.
Psychologies : Vous dites que l’amour n’est pas un cadeau du ciel, mais un mécanisme du cerveau vieux comme l’humanité. Aujourd’hui, sommes-nous toujours marqués par ce schéma amoureux ?
Lucy Vincent : Oui, car ce mécanisme est ancré dans nos gènes, c’est un programme génétique. Le comportement amoureux est né, chez l’homme, de la nécessité d’assurer la reproduction de l’espèce. Dans un monde où seuls les plus forts survivaient, il fallait protéger les bébés. Pour survivre, l’enfant a besoin de deux parents. Car un parent tout seul ne peut à la fois le surveiller, l’abriter, aller chercher à manger et se défendre contre les prédateurs. Or, le seul phénomène qui puisse obliger les deux parents à rester unis est l’amour. C’est un processus par lequel deux adultes, mâle et femelle – aujourd’hui, ce pourrait être deux mâles ou deux femelles, l’homosexualité entre tout à fait dans mon discours –, se trouvent merveilleux. Non seulement au point de vouloir rester ensemble, mais aussi d’être mal quand ils sont séparés. L’alchimie cérébrale qui se produit alors crée une addiction et les rend aveugles aux défauts de l’un ou l’autre : elle leur permet de rester ensemble pour la survie de l’enfant.
Mais comment ce programme génétique commun peut-il pousser tel homme vers telle femme, et inversement ?
On pense qu’il existe des facteurs de complémentarité que notre cerveau cherche inconsciemment chez l’autre. Le rôle des odeurs a été mis en évidence. Elles traduisent des informations génétiques concernant le système immunitaire. Le raisonnement est le suivant : si j’ai un système immunitaire qui me protège de tels germes et mon partenaire un système immunitaire qui le protège de tels autres germes, notre enfant disposera d’une vaste gamme de défenses immunitaires. Mais si je prends quelqu’un qui a le même système que moi, mon enfant sera plus faible. Des expériences ont montré qu’un individu préfère quelqu’un qui a un système immunitaire très différent du sien. Les odeurs nous aident donc inconsciemment à choisir notre futur partenaire.
Existe-t-il d’autres signaux qui guident nos choix ?
Oui, mais pour les comprendre, il faut se remettre dans l’environnement sauvage dans lequel l’homme a évolué. La femme, biologiquement, c’est un ovule par mois. Quand cet ovule est fertilisé, elle doit consacrer neuf mois à produire l’enfant. Elle doit manger plus, elle est moins mobile, elle devra ensuite allaiter. En contrepartie de cet investissement, elle sait que son enfant porte ses gènes et les transmet à la génération suivante. Pour l’homme, c’est différent. Il produit des millions de spermatozoïdes tous les jours, et son seul rôle biologique dans la procréation consiste à utiliser un spermatozoïde pour fertiliser un ovule.
En contrepartie, il ne peut jamais être certain que l’enfant qui naît est bien le sien. Alors, il a cette espèce de doute existentiel en se demandant si ses gènes passent à la génération suivante. Ces différences biologiques entraînent des comportements différents. Parce que c’est très facile à trouver, la femme ne va pas spécialement chercher un spermatozoïde. Mais elle va chercher un partenaire capable d’un investissement matériel. Elle se dit : « Puisque c’est moi qui fais tout le travail biologique, il me faut quelqu’un qui puisse me ramener à manger et me protéger des prédateurs. » Elle va donc chercher un homme qui possède tous les signes de force : un taux de testostérone élevé, des muscles et des ressources matérielles. Un homme, lui, va chercher une femme dont il est sûr que l’enfant qu’elle portera sera de lui.
L’homme veut-il une femme fertile ou fidèle ?
Les deux. Mais d’abord fertile. Pour lui, ce n’est pas la peine d’aller avec une femme qui ne pourra pas lui donner d’enfant. Il cherchera chez elle tous les critères de beauté féminins qui sont, en réalité, des critères de fertilité : cheveux épais, peau très lisse, yeux brillants, lèvres pulpeuses…
Cette programmation génétique ne s’est-elle pas modifiée avec l’évolution ?
Si, bien sûr, notamment avec l’allongement de la durée de vie et, surtout, la contraception. Aujourd’hui, la femme peut contrôler ses grossesses et n’a donc plus besoin de choisir un homme fort ou riche. Si elle travaille, elle peut le vouloir plus maternel, apte à s’occuper des enfants. Petit à petit, les hommes qui n’ont que de la testostérone à proposer vont disparaître du marché. A ce moment-là, nos gènes changeront. On dit que vingt générations suffisent à modifier le génome d’une espèce au point de créer une nouvelle espèce. Il se peut que nous soyons en train de subir des modifications. N’empêche qu’aujourd’hui encore, une femme qui veut mener une carrière et avoir un compagnon qui s’occupe des enfants reste d’abord attirée par un homme qui possède de gros muscles. C’est une attraction première, qu’elle peut tempérer ensuite par le raisonnement. C’est tout l’art de gérer une histoire d’amour !
Vous dites aussi que l’alchimie amoureuse de la rencontre ne dure guère plus de trois ans…
La programmation génétique du comportement amoureux modifie l’activité dans certaines zones du cerveau. Ces zones vont peu à peu se désensibiliser, même si des mécanismes hormonaux, comme ceux de l’ocytocine, tempèrent le processus. Progressivement, l’activité du cerveau reprend son cours normal, débarrassée de l’excitation de la période amoureuse. Cette désensibilisation intervient quand l’enfant est capable de se débrouiller tout seul, vers 3 ans. C’est son cap de viabilité, où il peut commencer à se lever, à chasser quelque chose qui le gêne ou à attraper un fruit. Dès lors, un seul parent peut suffire. Pourquoi forcer deux parents à rester ensemble s’ils ne sont plus nécessaires à l’évolution ? L’évolution se fiche de notre bonheur après la reproduction !
Mais alors, pourquoi certains couples tiennent-ils dans le temps ? Leur cerveau n’est donc jamais désensibilisé ?
Si, il y a une certaine désensibilisation. Mais il y a aussi une aide biologique à la durée du couple. Même quand les récepteurs d’endomorphine sont désensibilisés, qu’ils n’induisent plus la dépendance de l’un à l’autre, il reste l’ocytocine. Quand un couple s’embrasse, se caresse, quand il fait l’amour, ou même quand il bavarde tranquillement autour d’un dîner, il y a libération d’ocytocine. Et l’ocytocine induit un sentiment de bien-être. Elle stimule le système immunitaire, elle ralentit le cœur, elle met le corps en situation d’apaisement. Les couples qui gardent ces comportements amoureux peuvent durer plus longtemps. Ils ne sont plus dans la dépendance, mais dans le bien-être.
Expliquer l’amour par la chimie, c’est tuer une solide idée romantique…
Nous avons trop été élevés dans la culture des contes de fées. Le conte dit : « Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants. » Il ne dit jamais : « Ils vécurent heureux trois ans, puis c’est devenu plus difficile. » Du coup, quand ces trois années sont passées et que le cerveau reprend son activité normale, on regarde son partenaire et on se dit : « Mince ! Il a plein d’habitudes qui ne me plaisent pas. Pourquoi l’ai-je choisi ? Ce n’est pas le bon ! » Mais si on sait comment ça marche, on peut se dire : « On est arrivés à un stade où le cerveau est revenu à une activité normale, alors comment envisager la suite de l’histoire ? »
Comment l’envisager justement ?
Quand on démarre une histoire d’amour, parallèlement au processus chimique, il existe dans le couple une deuxième voie d’échanges, par la parole. Ces échanges-là impliquent d’autres parties du cerveau qui ne sont pas nécessairement endormies par l’amour. Si on se donne la peine de sonder l’autre, on peut s’enrichir d’informations concernant sa vie intellectuelle. Des études montrent une différence de qualité des échanges entre les couples qui vont durer et ceux qui ne franchiront pas le cap fatidique des trois ans. Les femmes qui disent de leur partenaire : « Il est génial », sans pouvoir donner des détails du genre : « Il fait des spaghettis à merveille, il connaît tout Woody Allen, c’est un fan de Tintin » etc., n’auront pas un couple qui dure.
Les couples qui durent sont, au contraire, ceux qui peuvent s’expliquer en détail en quoi l’un et l’autre sont merveilleux. Cette précision des informations est de bon augure pour la suite. Lors d’une expérience faite avec des couples formés depuis dix ans, on a demandé aux gens de décrire leurs partenaires. Les personnes satisfaites le voyaient toujours mieux qu’il n’était et que ses amis ne le jugeaient. Grâce aux échanges intellectuels, une modification du cerveau s’opère sur le long terme en faveur du partenaire.
Rien ne serait donc affaire de volonté ?
On ne peut pas décider de tomber amoureux. Mais on peut décider, dès le début, que l’on va interroger son partenaire, au lieu de se laisser aller à tout trouver fantastique sans regarder les points de désaccords qui gâcheraient le plaisir. Il faut savoir rester lucide, car l’amour n’est pas entièrement programmé. C’est une chose étrange, hybride, qui inclut également notre expérience individuelle. Au-delà de notre programmation d’origine, nous sommes devenus des êtres humains.
Un article de Stanilas de Haldat à retrouver ici sur le site de psychologies.com