À 70 ans, le management par objectifs reste indépassable

Le management par objectifs, pour réussir, repose sur un vrai échange d’informations. Shutterstock

La gestion des performances (GP), née des mouvements de rationalisation de l’entreprise au début du vingtième siècle, a progressivement évolué pour devenir un pilier des pratiques de gestion des ressources humaines modernes. Initialement conçue pour optimiser la productivité, elle s’est enrichie d’une dimension humaine, visant à aligner les objectifs individuels avec ceux de l’organisation et à favoriser le développement des compétences. Ainsi, la gestion des performances peut être désormais définie comme « un processus continu d’identification, de mesure et de développement des performances dans les organisations en reliant les performances et les objectifs de chaque individu à la mission et aux objectifs globaux de l’organisation ».

Dans un contexte de mondialisation et de concurrence intensifiée, la gestion des performances est devenue un outil incontournable pour les entreprises souhaitant maintenir leur compétitivité. Correctement mis en œuvre, ce processus peut être bénéfique autant pour les organisations que pour leurs employés. La clé du succès réside dans l’implication des employés et dans un retour d’information régulier et efficace. Dans les faits, un mécanisme efficient de gestion de la performance d’une part, et celui des ressources humaines d’autre part, s’intègrent parfaitement . Le premier offre un outil efficace de suivi et d’amélioration des performances des individus, des départements et de l’organisation dans son ensemble. Cette pratique clé à l’échelle de l’organisation permet de s’assurer que les efforts des employés sont alignés avec les objectifs généraux, tout en promouvant une culture de l’amélioration continue et de la responsabilsation.

La star du management

S’il existe plusieurs approches de la gestion de la performance, l’une des plus connues demeure le management par objectifs (MBO). Popularisé par la star du management «made in USA » , Peter Drucker, dans son livre « The practice of management » en 1954, le modèle du MBO implique la définition d’objectifs convenus à la fois par la direction et les employés, le suivi des activités, l’évaluation des résultats et, enfin, la récompense des progrès et de la réalisation de ces objectifs. Soixante-dix ans après son introduction, ce cadre de définition des objectifs, de suivi des résultats et de récompense des réalisations est-il toujours pertinent dans les organisations modernes ?

Pour répondre à cette question, nous allons d’abord décomposer et examiner les principales éléments du modèle MBO, puis les explorer et les comparer à d’autres approches populaires utilisées aujourd’hui pour améliorer l’efficacité organisationnelle et les performances des employés.

L’essentielle participation des salariés

Le processus du MBO commence par la définition d’objectifs dits SMART. Ils doivent être spécifiques et liés à la stratégie globale de l’entreprise, mesurables, atteignables, pertinents par rapport aux ressources et aux compétences disponibles et limités dans le temps pour favoriser l’engagement et le suivi. Enfin, les buts fixés conjointement doivent être alignés sur les objectifs globaux de l’organisation. Il existe en effet des preuves scientifiques de l’existence d’un cercle vertueux entre les objectifs et les attentes des salariés notamment. En effet, bien mené, ce travail de définition des objectifs contribue à réduire l’ambiguïté des positions des uns et des autres. Cela permet aux employés de mieux comprendre ce que l’on attend d’eux, et donc d’améliorer leurs performances. C’est pour cela qu’il est essentiel que les salariés soient associés, impliqués dans le processus de définition des objectifs. Cette participation a un impact positif sur leur engagement et leur adhésion à ces objectifs.

En outre, le MBO exige un suivi régulier des progrès réalisés. C’est indispensable pour aider les salariés, individuellement et par équipes, à rester sur la bonne voie et, peut-être surtout, à procéder aux ajustements nécessaires pour atteindre leurs objectifs. Ce suivi réel induit également un retour d’informations régulier : le fameux feedback. Cette démarche aidera les employés à identifier leurs points forts et les domaines dans lesquels ils doivent se développer.

Enfin, une fois réalisée l’évaluation des performances en fonction de la réalisation des objectifs fixés, le MBO passe à l’attribution de récompenses, qu’il s’agisse d’avantages pécuniaires ou d’opportunités de développement des compétences. Dans le deux cas, la satisfaction et la productivité des employés en ressort améliorée.

Une méthode exigeante

Si le MBO présente incontestablement d’importants avantages , sa mise en œuvre n’en nécessite pas moins de tenir compte de ses limites pour en optimiser l’efficacité. Dans le même temps, une implémentation correcte nécessite des ressources et des efforts considérables, car elle implique des processus exigeants et complexes tels que la définition collaborative d’objectifs alignés dans l’ensemble de l’organisation, la fourniture d’un retour d’informations régulier et un suivi étroit des progrès réalisés. Cela peut prendre beaucoup de temps, tant pour les cadres que pour les employés.

D’autre part, si le MBO peut théoriquement être appliqué dans diverses cultures d’entreprise, son plein succès dépend grandement de l’alignement des valeurs organisationnelles et de la maturité en matière de gestion. Ainsi, dans les entreprises où la culture est très individualiste ou où la communication est limitée, il peut être plus difficile d’adopter cette méthode efficacement.

C’est pourquoi l’un des principaux défauts observés du MBO est sa mise en œuvre incomplète. En effet, il arrive que des entreprises et leur management soit tenté de bricoler un MBO à la carte en ne retenant que certaines parties du cadre global. Une telle mise en œuvre inadéquate nuit à l’efficacité du modèle et risque même de créer plus de problèmes qu’elle n’en résout. Par exemple, la fixation d’objectifs trop rigides peut conduire à de l’inflexibilité, qui rendra difficile l’adaptation à l’évolution de l’environnement des entreprises. De même, lorsqu’il y a des conflits dans la définition des objectifs, il est important de faciliter un dialogue ouvert et transparent, en impliquant toutes les parties prenantes. Les médiations et les compromis sont souvent nécessaires pour atteindre un accord. Aussi, si lors de la fixation des objectifs, une décision top-down est imposée par la direction, sans une consultation et une implication suffisantes des différentes parties, cela risque de créer un sentiment de distance ou même de résistance au sein de l’équipe. L’aspect participatif des employés dans cet exercice est primordial pour assurer l’adhésion et le succès de la méthode MBO.

Les chiffres mais pas seulement

De même, une focalisation excessive sur les résultats à court terme peut contribuer à minimiser la croissance de long terme ! Un autre écueil observé est d’être obsédé par des objectifs quantifiables, donc “chiffrables”, et d’oublier tous les indicateurs qualitatifs, comme le moral des employés. Un accent trop grand sur la mesure risque aussi d’inciter les employés à manipuler les indicateurs de performance. Dernier exemple de dévoiement : des objectifs mal alignés, irréalistes ou mal communiqués peuvent créer un environnement à haute pression produisant du stress, voire, dans les pires des cas, menant à des burn-out.

Malgré ces réserves, la popularité du MBO a débouché sur différentes approches. Si elles dépendent largement des spécificités des entreprises, toutes partagent un double objectif : améliorer la performance et l’implication des employés, et l’efficacité de l’organisation. Parmi les méthodes les plus largement adoptées sur le lieu de travail aujourd’hui, on peut citer le tableau de bord équilibré (BSC), introduit par Kaplan et Norton, le modèle à 360 degrés, le cadre des objectifs et des résultats clés (OKR) initialement mis au point par Intel mais très largement popularisé par Google, et la gestion agile de la performance, qui intègre des principes de flexibilité pour répondre aux besoins des organisations.

Une pluralité d’approches complémentaires

  • Le tableau de bord équilibré (BSC) est un outil de mise en œuvre et de contrôle de la stratégie, comprenant quatre dimensions principales : les mesures financières, la connaissance du client, les processus commerciaux internes, ainsi que l’apprentissage et la croissance. Cette approche offre une vision globale des performances de l’organisation en équilibrant les mesures financières et non financières. La méthode du BSC met l’accent sur la définition d’objectifs clairs et leur alignement sur la stratégie globale de l’organisation. Elle veille ensuite à ce que les objectifs soient mesurables et suit les progrès accomplis, à l’instar de l’approche systématique du MBO en matière de suivi des performances.
  • L’évaluation à 360° (360-feedback) a été initialement introduite sur la base des principes de compétence. En effet, ce modèle de retour d’information multi-sources implique la collecte d’informations sur les performances de certains (ou de tous) salariés auprès des supérieurs hiérarchiques de la personne concernée mais aussi de ses pairs, ses subordonnés (s’il est manager) et même parfois de ses clients. Cet outil vise à fournir une vision holistique des performances du salarié à partir de critères multiples. Ce modèle partage également l’accent mis par le MBO sur l’engagement et le développement des employés. Les deux approches soulignent l’importance d’un retour d’information continu pour guider la croissance des employés et aligner les objectifs individuels sur les objectifs de l’organisation.
  • Les objectifs et résultats clairs (ou OKR) offrent un cadre de fixation des objectifs. IL s’agit de définir des objectifs généraux, ainsi qu’un ensemble de buts qualitatifs nécessaires pour atteindre ces objectifs, mais aussi des résultats clés, soit des mesures quantitatives spécifiques pour suivre les progrès accomplis. Les OKR reflètent donc étroitement le cadre MBO en mettant l’accent sur des objectifs clairs et mesurables et sur un examen régulier des performances.
  • Enfin la performance agile est issue des méthodologies du même nom développées pour la gestion de projet, notamment dans l’informatique et le numérique. Cette approche met l’accent sur un retour d’information continu et des objectifs flexibles, ainsi que sur des examens de performance très fréquents (cela peut être lors de points hebdomadaires très structurés). Elle comprend des contrôles réguliers et un retour d’information en temps réel, avec des objectifs adaptables qui peuvent être modifiés en conséquence. Ainsi, cet outil partage également l’accent mis par le MBO sur le nécessaire retour continu d’informations et le suivi des performances.

4 principes fondamentaux

L’examen de ces modèles conceptuels de gestion de la performance couramment utilisés aujourd’hui révèle que les concepts fondamentaux de la MBO sont toujours d’actualité. Les quatre approches que nous venons de rappeler tentent chacune à leur manière d’améliorer des aspects spécifiques du processus pour contourner certains obstacles ou limites connus. En fin de compte, elles renforcent les principes fondamentaux de la fixation d’objectifs clairs, du retour d’information continu, du suivi des progrès et de l’alignement sur la stratégie de l’organisation.

Ce résultat est confirmé par les tendances actuelles en matière de gestion des ressources humaines : les concepts et principes de base du MBO restent essentiels même dans les outils les plus tendance, 70 ans ans après le livre de Peter Drucker. Par exemple, les conseillers professionnels, comme ceux de Forbes Advisor, recommandent que les logiciels de gestion de la performance possèdent des fonctionnalités donnant la priorité à la fixation d’objectifs, au retour d’information continu et au suivi des progrès. Quant aux consultants en management, comme ceux de McKinsey & Company, ils préconisent des pratiques stratégiques qui impliquent les employés et mettent l’accent sur le développement et la performance.

Bien que soixante-dix ans se soient écoulés depuis son introduction dans le grand public, le MBO reste tout à fait pertinente sur le lieu de travail d’aujourd’hui. Même avec sa part de critiques et de lacunes, et en reconnaissant qu’aucun cadre n’est parfait, il est remarquable de constater que les principes fondamentaux du MBO sont toujours incorporés dans diverses autres pratiques courantes, recommandés par des consultants en gestion et même intégrés dans des systèmes de gestion. Ainsi, le MBO continue d’avoir un impact sur le comportement des employés et sur les résultats de l’organisation, ce qui lui confère une importance durable dans le domaine de la gestion.

George Kassar, Full-time Faculty, Research Associate, Performance Analyst, Ascencia Business School

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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