Etre injoignable par quelque moyen que ce soit et par qui que ce soit une fois par semaine vous rendra plus créatif et plus productif.
Je déteste les réunions. Elles m’encombrent l’esprit et occupent inconsciemment mes pensées. Je me sers de carnets pour les préparer. En plein milieu de ma journée de travail, je dois me déplacer pour y assister puis retourner à mon bureau. Et à quoi mènent-elles, ces réunions, la plupart du temps ? Je vous le donne en mille : à encore plus de réunions (lire aussi l’article : « Halte à la folie des réunions ! »).
Lorsque j’étais directeur du développement du leadership chez Walmart, une bonne partie de mes journées était consacrée à des réunions. Comme tout le monde ! Quand j’ai démissionné il y a deux ans pour me mettre à mon compte en tant qu’auteur et conférencier, j’ai cru en avoir fini avec les réunions.
Mais je me trompais.
A présent, j’ai des entretiens et des interviews par téléphone ; des déjeuners avec des agents littéraires et des développeurs web ; des conférences téléphoniques à propos de titres d’ouvrage et de programmes de lancement éditoriaux ; des interviews à la radio et des échanges téléphoniques pour me préparer à des rencontres avec les médias. Et chacune de mes conférences est immanquablement précédée d’une réunion avec le client et l’organisateur afin de clarifier les objectifs de mon intervention et la logistique de l’événement.
On ne se débarrasse jamais vraiment des réunions.
Le problème, cependant, c’est que je suis à présent essentiellement jugé sur ma production créative, alors que je n’ai plus le temps pour ça ! Mais je ne suis pas le seul dans ce cas. Tandis que le monde devient de plus en plus affairé et que nos téléphones ne cessent de sonner, l’attention et la créativité sont des ressources qui se raréfient (lire aussi la chronique : « Vous voulez être créatif, oubliez la productivité »). Et si vous ne prenez pas le temps d’offrir au monde des choses belles et nouvelles, votre valeur s’en trouve rapidement diminuée.
Avant, je faisais partie de ces gens qui, soit « debout aux aurores », soit « adeptes des nuits blanches », enchaînent les heures de travail pendant que les autres dorment. C’est comme ça que j’ai écrit mille billets de blog en mille jours. Sauf que j’ai fini par comprendre qu’on ne peut rouler sur la voie rapide qu’un certain temps avant de partir dans le décor.
Un moyen pratique d’abattre plus de travail sans y passer plus de temps
J’ai changé. Quand je rentre chez moi, je profite du temps passé avec ma femme et mes deux petits garçons. Rien ne m’est ni ne me sera jamais plus précieux qu’eux, et je doute de la sagacité de ceux qui ne consacrent pas suffisamment de temps à ceux qu’ils aiment. J’ai compris que, ce dont j’avais besoin, c’était de trouver un moyen pratique d’abattre plus de travail sans y passer plus de temps. Un besoin urgent, à vrai dire. Pourquoi ? Parce que dès la première année où je me suis mis à mon compte pour écrire, j’ai commencé à voir ma productivité décliner – alors même que je n’étais plus salarié à plein temps. Un constat non seulement démoralisant, mais aussi embarrassant :
« Alors, il avance bien votre prochain livre ?
– Depuis que je ne travaille plus à plein temps vous voulez dire ? Très mal ! »
J’ai fini par trouver une solution qui, à mon avis, m’a permis de sauver ma carrière, mon temps et ma santé mentale. Si vous lisez ces lignes, je suis prêt à parier qu’elle vous sera utile à vous aussi ; j’ai appelé ça « les journées intouchables ».
Durant ces journées, je suis littéralement injoignable par quelque moyen que ce soit et… par qui que ce soit.
Une arme secrète au service de la créativité et de la productivité
Les journées intouchables sont devenues mon arme secrète pour remettre mon travail sur les rails. C’est dans ces moments-là que je suis le plus créatif et le plus satisfait de ce que je produis. A titre d’exemple, un jour ordinaire, où je m’attelle à l’écriture entre deux réunions, j’atteins peut-être 500 mots, alors qu’il m’arrive d’aller jusqu’à 5000 mots au cours d’une journée intouchable. Ces jours-là, je suis donc dix fois plus productif.
Comment est-ce que j’y parviens ?
Je regarde mon agenda seize semaines à l’avance et, chaque semaine, je bloque une journée qui devient INTOUCHABLE. C’est comme ça que j’écris le mot, en majuscules. INTOUCHABLE. Je n’écris rien d’autre de cette façon, si bien que le terme me saute au visage.
Pourquoi seize semaines à l’avance ? Ce qui importe, ce n’est pas tant le nombre de semaines que de réfléchir à ce qui en est à l’origine. Pour moi, c’est la période qui correspond au calendrier prévisionnel de mes conférences et, surtout, c’est juste avant que quoi que ce soit d’autre ne soit planifié. C’est un instant magique dans mon calendrier. Le moment parfait où planter le petit drapeau INTOUCHABLE sur la journée avant que la place soit occupée par autre chose.
Ces jours-là, je m’imagine assis dans un véhicule blindé, protégé de tous côtés par une armure en plastique de cinq centimètres d’épaisseur. Rien ne peut y pénétrer. Rien ne peut en sortir. Les réunions rebondissent sur le pare-brise. De même que les SMS, les alertes et les appels téléphoniques. Mon téléphone est en mode avion et le Wi-Fi est désactivé sur mon ordinateur portable. Rien ne peut me déranger… et rien ne me dérange.
Mais quid des urgences, me direz-vous.
Pour vous la faire courte, il n’y en a jamais. Voici la version longue : quand ma femme m’a demandé comment faire en cas d’urgence, elle n’a pas apprécié le laïus que je lui ai servi à propos de l’époque où nous n’avions pas de téléphones portables et où nous n’étions pas toujours joignables. Nous avons trouvé un compromis : lorsque j’ai commencé à mettre en place ces journées intouchables, je lui ai dit que j’ouvrirai la porte de mon véhicule blindé pendant une heure au déjeuner. Quand je l’ai fait, j’ai été assailli par dix-sept textos, des douzaines d’e-mails soi-disant urgents et un flot continu d’alertes et de nouvelles générées automatiquement – et très exactement zéro urgence de la part de ma femme. Après quelques mois, nous avons arrêté de le faire et, à la place, je lui ai indiqué où me trouver au besoin. Cela l’a tranquillisée de savoir où appeler ou où venir me chercher en dernier recours, au cas où une catastrophe se produirait.
Cela fait maintenant un an que ce système est en place. Rien de tragique n’est jamais arrivé et nous nous sommes tous deux peu à peu habitués à n’avoir aucun contact durant la journée.
Une journée « intouchable » en pratique
Alors à quoi ressemble une journée intouchable vue de près ?
Selon moi, elle se compose de deux éléments principaux. Il y a d’une part le travail créatif profond. Quand vous entrez dans cette zone, le flux qui vous porte vous permet de faire avancer le gros projet sur lequel vous travaillez étape par étape. A côté de cela, vous avez les grenades ; de petites décharges d’énergie que vous pouvez utiliser pour remettre votre pompe créative en route si jamais elle tombe en panne. Ces moments improductifs et frustrants arrivent à tout le monde, et il importe moins d’essayer de les éviter que de disposer d’un arsenal mental pour y remédier. De quoi se compose le mien ? Aller à la salle de sport pour une séance d’entraînement. Picorer des amandes. Me lever de mon siège et faire le tour du pâté de maisons en courant ou aller me promener dans la nature. Après tout, comme l’a exposé le philosophe Henry David Thoreau : « Je crois qu’il y a un magnétisme subtil dans la Nature qui, si nous y cédons inconsciemment, nous indique la bonne direction. » Ernest Hemingway, quant à lui, a écrit : « Je flânais le long des quais après mon travail, ou quand j’essayais de trouver une idée. Il était plus facile de réfléchir en marchant ou en faisant quelque chose ou en voyant les gens faire quelque chose qui était de leur ressort. » Quoi d’autre ? Méditer pendant dix minutes. Ou changer de lieu de travail. Ou encore, mon remède miracle : désactiver le mode avion pendant dix minutes (en ne réactivant pas les e-mails ni les textos) et laisser des messages téléphoniques à mes parents et mes amis proches pour leur dire que je les aime. Cela fonctionne à tous les coups et me permet de me remettre rapidement à travailler parce que, pour être honnête, plus personne ne répond au téléphone.
Mais que se passe-t-il en cas d’accrochage avec ma voiture blindée ? Par exemple, lorsque l’on me propose une conférence incroyable ou que quelqu’un de beaucoup plus important que moi n’est disponible pour une rencontre que ce jour-là ? Drapeau rouge : ma journée intouchable est menacée. Que faire ?
J’applique une règle simple. Les journées intouchables ne peuvent être annulées mais peuvent glisser d’une journée à une autre entre les bornes que constituent les week-ends. Mais elles ne peuvent être repoussées à une autre semaine. Elles comptent plus que tout pour moi, et si elles doivent être déplacées d’un mercredi à un jeudi ou un vendredi, cela me convient, même si je dois décaler quatre réunions pour ce faire. La beauté de cette approche, c’est qu’une fois le drapeau « Journée intouchable » planté dans mon agenda, votre esprit enregistre son caractère indélébile. Les résultats sont immédiats : dès ce dispositif mis en place, vous vous sentirez profondément revigoré d’un point de vue créatif.
Avant que je ne le mette en place, je faisais du surplace : j’écrivais des articles, je donnais des conférences, mais il me manquait quelque chose. Quand j’ai mis en œuvre le système des jours intouchables en 2017, quelque chose de magique s’est produit. J’ai rédigé une étude de 50 000 mots, j’ai écrit et commencé à donner une conférence d’une heure, j’ai rédigé des propositions pour mes trois prochains ouvrages et j’ai planifié de A à Z et commencé à enregistrer une nouvelle émission en podcast – tout en continuant à voyager et à donner plus de conférences que jamais.
Après une année de mise en pratique de ce système, est-ce que je persiste à programmer une journée intouchable chaque semaine ?
La réponse est non.
A présent, j’en programme deux.
Un article de Neil Pasricha paru le 15/05/2018 sur le site de la Harvard Business Review France