Comment ne pas saper vos chances de résoudre efficacement un problème ?

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Les problèmes auxquels sont confrontées les entreprises sont nombreux. Ils donnent parfois lieu à bien des débats quant à la manière de les résoudre, alors que ce qui pose problème fait facilement l’objet d’un consensus. Par exemple, nombreux s’accordent pour affirmer que le coût du travail en France est élevé, que le nombre de PME de bonne taille est insuffisant, contrairement à l’Allemagne, voire que nous manquons de licornes comme aux Etats-Unis, qu’il est parfois difficile d’embaucher une main-d’œuvre qualifiée dans certains secteurs, etc. Si ces exemples semblent pour beaucoup des sujets d’évidence à traiter, les situations spécifiques à considérer pour les résoudre le seront-elles tout autant ? Cette question est légitime, car il suffit de constater l’importance donnée à un point particulier plutôt qu’à un autre sur un sujet donné, et les affrontements rhétoriques et idéologiques qui peuvent s’ensuivre. Et si, finalement, pour résoudre nos problèmes, il fallait commencer par les remettre en cause ? Peu de personnes se posent la question de la pertinence du problème, alors que les méthodes qui visent la pertinence des solutions sont très nombreuses. On ne compte plus les méthodes de créativité, d’idéation mais toutes partent du principe que le problème de départ est clair et bien posé, ou qu’il ne nécessite tout au plus qu’un bref travail de reformulation. Pourtant, ce qui fait problème pour vous n’est peut-être tout simplement pas un problème pour un autre. C’est un peu comme en physique, où le changement de référentiel peut changer la perception de la réalité. Avant de chercher une solution – qui ne marchera peut-être pas – ne devrions-nous pas nous attacher à travailler notre compréhension de la situation ? Autrement dit, il faudrait peut-être plutôt commencer par relier les éléments qui la composent.

Ces problèmes… qui posent problème

Prenons quelques exemples concrets et déconstruisons-les pour identifier certains des biais fréquemment rencontrés.

1. Quand la cause du problème est annoncée dans sa formulation

Imaginons qu’une petite entreprise, qui commercialise un logiciel visant à faciliter le recoupement d’informations, se pose la question suivante : « Comment améliorer l’accès aux connaissances pour diminuer les fausses croyances ? » Dans cet exemple, on a déjà une prise de position forte sur la raison de l’existence de fausses croyances : un accès limité à la connaissance. Le lien de causalité est affirmé comme une évidence. Cependant, les fausses croyances pourraient bien être le résultat d’une manipulation de l’information. Dans ce cas, le problème serait plutôt lié à l’éthique des médias ou au contrôle de la véracité des informations mises à la disposition du public. On voit bien comment la cause retenue peut déterminer l’angle de réflexion et donc induire des solutions discutables. Un tel biais devient vite contre-productif. La causalité pourrait être illusoire, ou partielle, et la solution n’aura, au mieux, que des effets limités – quand bien même verrait-elle le jour.

2. Quand la solution est induite dans la formulation du problème

Voici un exemple de ce que l’on retrouve typiquement au début de sessions de créativité : « Comment concevoir une application pour aider les jeunes défavorisés de Chicago à mieux gérer leur argent ? » Là encore, on retrouve une prise de position forte : les jeunes défavorisés de Chicago ne savent pas gérer leur argent (ou y parviennent moins bien). On sous-entend même que cela pourrait être une cause de leur précarité. De plus, on pose la question de la conception d’une application. Celle-ci est une solution déjà identifiée dans la formulation du problème, ce qui oriente la réflexion et ferme d’autres pistes peut-être plus prometteuses. Dans ce cas, nous avons non seulement inscrit la cause, mais aussi la solution dans notre problème, nous fermant ainsi les portes d’une réflexion plus créative et sans doute plus fructueuse.

3. Quand personne ne sait de quel problème il s’agit

L’insuffisance du made in France, notamment à propos des masques ou des médicaments, est souvent évoquée sans que l’on sache véritablement ce qu’induit cette revendication. S’agit-il d’un problème de souveraineté, de compétences à l’échelle nationale, de répartition de la valeur ajoutée entre producteurs et distributeurs, d’accès aux biens ou aux services par les consommateurs, comme dans le cas des masques ? Chacun de ces sous-problèmes est entièrement dissocié des autres. En définitive, de quel problème parle-t-on réellement ?
Ces trois biais ont en commun que nos problèmes dépendent de nos croyances. Qu’il s’agisse de l’inclusion d’une cause, d’une solution ou d’un parti pris, ce que l’on privilégie, sans y prêter attention, relève bien d’une croyance. Ces mêmes croyances peuvent devenir un handicap et troubler notre perception, sans compter qu’elles limitent la recherche et la mise en œuvre de solutions stables dans le temps. De plus, il est plus difficile d’obtenir l’engagement des autres, car leurs croyances ne sont peut-être pas les mêmes que les nôtres. Dans ce cas, nous dépendrons de notre capacité à persuader ; or il n’est pas toujours facile de remettre en cause ce que les autres considèrent pour vrai.

Neutraliser les croyances

Si on est généralement familier avec l’idée de co-créer une solution, l’idée de co-créer le problème peut interpeller, voire rebuter. Pourtant, ce même mécanisme utilisé pour réfléchir aux solutions convient aussi pour travailler sur la compréhension du problème et parvenir à ce que l’on appellera, faute de mieux, un “bon” problème. Un “bon” problème ne serait ni plus ni moins que le constat d’une situation qui ne nous convient pas, mais qui dépend moins de croyances, d’opinions ou de présupposés. Il n’y aurait donc pas de problème universel, mais des constats d’insatisfaction plus ou moins partagés. Neutraliser les croyances permet de rendre les problèmes plus faciles à partager. Par exemple, si on reprend le cas de : « Comment concevoir une application pour aider les jeunes défavorisés de Chicago à mieux gérer leur argent ?”, on pourrait commencer par éliminer la croyance concernant leur incapacité à gérer leur argent et proposer comme piste de réflexion : “Les jeunes défavorisés de Chicago manquent d’outils pour sortir de la précarité” (ce qui évite aussi de partir d’emblée sur une solution toute faite, de type application). Formuler un “bon” problème nécessite d’avoir en tête que :

– Un problème ne commence pas par une question. C’est un constat.

– Il crée l’adhésion, car il est factuel et moins dépendant de croyances et d’opinions.

Ces deux principes ne sont que la première étape d’un mécanisme d’analyse visant à agir efficacement dans les situations complexes. S’attacher à mieux définir les problèmes n’est qu’un point de départ, mais on peut considérer cela comme étant le cœur de toute réflexion sur les actions à envisager. Trouver un angle d’attaque qui soit le plus neutre possible encouragera la créativité et facilitera l’engagement de chacun autour d’enjeux partagés.

Toutes les entreprises sont concernées par un meilleur discernement de ce qui fait réellement problème. Ce cadrage est mobilisateur car vouloir quitter une situation reconnue comme insatisfaisante est plus fédérateur que la poursuite d’un idéal. Le futur, personne ne l’a encore expérimenté, alors que les problèmes se conjuguent toujours au présent. Partager une représentation commune n’est pas une tâche insurmontable. Et ce n’est pas du temps perdu, bien au contraire.

Un article de Mathilde Gaulle et Dominique Vian à retrouver sur le site de HBR France ici

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