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Gandhi a mené l’Inde à l’indépendance sans recourir à la violence. il a inventé pour cela une forme d’action fondée sur la résistance passive, sur la force des symboles et sur l’exemplarité du leader.
Cet article est issu du magazine Management
Plus de 2 millions de personnes se pressent, le 12 février 1948, aux funérailles de Gandhi. Le leader politique a été assassiné par un Indien nationaliste qui lui reproche la partition de l’Inde et du Pakistan. La foule accompagne une dernière fois celui qui est devenu en un demi-siècle le prophète mondial de la non-violence. Cette ferveur populaire, Gandhi l’a obtenue au fil des années, alors que rien ne le prédestinait à prendre la tête du mouvement indépendantiste et à lutter contre l’occupation britannique.
Mohandas Karamchand Gandhi naît en 1869 dans une famille bourgeoise de la caste des marchands, les vaishyas, qui ne cherche aucunement à remettre en cause le système inégalitaire établi par la Couronne. Le jeune homme souhaite d’ailleurs se former en Angleterre. Ambitieux et athée, il n’hésite pas à défier un système qui ne lui offre aucune perspective d’avenir et qui l’a contraint à se marier à 12 ans. Cette volonté constitue son premier acte de rébellion, car l’appartenance à sa caste lui interdit de traverser les mers. En 1888, il laisse sans regret femme et enfant en Inde et s’embarque pour l’Angleterre. Là-bas, il va se former au droit anglais. Il va surtout apprendre les rouages et les codes de cette culture, un atout dans ses futures négociations avec les gouvernants anglais.
En Afrique du Sud, il élabore ses premières actions non violentes
Gandhi a 24 ans quand une compagnie indienne lui propose une mission d’un an en Afrique du sud, au natal. Il ignore qu’il restera vingt ans dans ce pays et que l’expérience sud-africaine sera le lieu de la révélation de son indianité. Alors qu’il pensait avoir sa place dans le système colonial et commercial de l’ empire britannique, un événement va le marquer profondément et agir comme un révélateur : un jour, il est traité de «sale coolie» et jeté hors d’un wagon de première classe. Il a beau présenter un billet en règle et dire qu’il est avocat, rien n’y fait. Humilié, il prend alors conscience qu’il fait partie de la classe des «dominés», et il militera désormais pour la dignité des indiens.
En 1906, Gandhi déstabilise une première fois les anglais, qui veulent obliger les indiens d’ Afrique du sud à s’enregistrer et à donner leurs empreintes comme de vulgaires malfrats. Il imagine alors une forme d’agitation politique inédite, à laquelle personne ne s’attend : le satyagraha, qui signifie «force» (agraha) de la «vérité» (satya)». Il s’agit d’opposer à l’oppresseur une résistance passive et non violente qui engage les combattants à accepter la prison et les mauvais traitements pour prouver à l’adversaire qu’il a tort. Gandhi appelle ses compatriotes à brûler leurs certificats d’enregistrement. En jetant le sien dans le feu, il déclare que «les indiens se préparent à remplir les prisons». Une action dont on entend parler jusqu’en Europe.
A l’écoute des paysans, il accroit son influence
A son retour en Inde en 1915, Gandhi est célèbre, mais il connaît à peine cet immense pays qui l’accueille et le nomme désormais «mahatma», grande âme. Il veut pour l’Inde l’émancipation intellectuelle, économique et spirituelle, le swaraj, et conduit son combat au plus près de la population. Il se rend notamment dans la région du Champaran, où il lutte aux côtés des cultivateurs afin d’obtenir l’abolition de la taxe sur l’indigo, qui les ruine. Sa méthode sera une des clés de son succès et de sa popularité : il rencontre de nombreux paysans et leur donne, à tous, le sentiment que leur cause vaut la peine d’être défendue. Avec une équipe de jeunes avocats volontaires, il recueille plus de 8.000 témoignages et dresse un état des lieux de la situation d’extrême dénuement dans laquelle se trouve la population. Jour après jour, il tient la presse au courant de ce travail méticuleux. Enfin, il refuse de quitter la région malgré l’injonction de l’administration britannique, qui n’a d’autre solution que de le faire arrêter. Mais la pression médiatique est telle que le gouverneur le fait relâcher et ordonne une enquête qui conclut à la nécessaire abolition de la taxe. Cette première victoire de Gandhi en Inde est retentissante. Le leader a réussi à mobiliser le pays tout entier dans une action collective. Les élites indiennes ont ouvert les yeux sur une «Inde affamée et misérable», selon les mots de Nehru. Après les paysans du Champaran, ce sont ceux du kheda qui ont besoin de lui, puis les ouvriers du textile d’Ahmedabad…
Gandhi a réussi à transformer les antagonismes de castes et de milieux sociaux en une rébellion contre l’ordre britannique : 300 millions d’indiens sont prêts à le suivre. Pour eux, il est devenu bapuji, le père. Il encourage les satyagrahas et appelle à des actions non violentes de grève et de résistance civile. Pour cela, il va multiplier les séjours en prison et les jeûnes de protestation, jusqu’à frôler la mort.
Pour éviter les violences, il change de stratégie
Le 13 avril 1919 a lieu le terrible massacre d’Amritsar, au Pendjab : l’armée anglaise tire sur des centaines de manifestants non violents. Le mahatma est effondré. A-t-il trop exigé de ses troupes ? Il réoriente son action et s’attaque aux leviers économiques de l’occupation anglaise. Toute l’ Inde s’illumine alors de brasiers purificateurs qui détruisent les textiles anglais. Gandhi donne l’exemple en fabriquant lui-même sa tunique, dont il file le tissu au rouet. En 1930, il décide d’attaquer l’empire sur son impôt central, celui du sel. Lors de la «marche du sel», il encourage les indiens à ne plus payer cette taxe aux anglais. Des milliers de manifestants, dont lui-même, sont emprisonnés. Après des mois de lutte, le vice-roi, qui représente l’autorité britannique, abroge cet impôt inique: l’Inde connaît sa première victoire dans son combat pour l’indépendance.
Mais la lutte est longue et une véritable guerre d’usure se met en place, catalysée dans le mouvement «Quit India» («quittez l’inde»), lancé en 1942. Jawaharlal Nehru, qui dirige alors le parti du Congrès, et Gandhi vont unir leurs forces : les actions du mouvement se structurent et prennent une ampleur sans précédent. Des campagnes massives de désobéissance civile sont menées : des ouvriers quittent leurs postes, de nombreux appels à la grève sont lancés. Le pays n’échappe pas à la violence et 100.000 indiens sont emprisonnés. Gandhi lui-même se retrouve en prison, ce qui met les britanniques en porte-à-faux: si le Mahatma décède dans sa geôle, l’Inde entière pourrait se soulever et tout pourrait dégénérer… Finalement, en 1944, alors que s’achève la seconde guerre mondiale, ils le relâchent et accèdent aux revendications du mouvement. En 1947, l’Inde obtient son indépendance. L’empire britannique, poussé dans ses retranchements, n’a eu d’autre choix que de céder face à la détermination d’un peuple mené par un leader d’exception.
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Comprendre d’abord, agir ensuite. Au Champaran, Gandhi commence par dresser un état des lieux précis de la situation des paysans. il rend ensuite son action spectaculaire en refusant de quitter le territoire et en se faisant arrêter.
Adopter une posture à la fois ferme et respectueuse vis-à-vis de l’adversaire. Gandhi ne se place pas en opposition frontale avec les anglais. Il cherche à organiser une résistance passive et à agir sur les relations entre les parties.
Concevoir des actions simples et marquantes. Gandhi mobilise les foules autour d’actes immédiatement compréhensibles et très symboliques : le boycott des produits anglais, la «marche du sel»… C’est aussi un bon communicant : il fournit à la presse des images fortes pouvant être diffusées partout dans le monde.
Formuler de façon claire et calme sa demande. Le principe premier de la lutte menée par Gandhi est le suivant : ne pas céder à la violence et rester patient. Il est ainsi capable, en cas de conflit, de formuler sereinement ses demandes et de les relier à un besoin particulier.
Anne Vermès avec Irène Rousseau
Anne Vermès dirige Traits d’unions, un cabinet qui propose aux dirigeants de s’inspirer des leçons du passé. Elle est l’auteure de plusieurs ouvrages publiés chez Eyrolles.
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