L’émission Cauchemar en cuisine ou l’amour de l’entreprise

On critique beaucoup les chaînes de télévision et souvent à juste titre, mais le paysage audio-visuel recèle quelques pépites, et Cauchemar en cuisine, l’émission de Philippe Etchebest, en fait partie. Très peu d’émissions évoquent la réalité du monde de l’entreprise, et aucune ne le fait aussi bien, et avec autant d’amour pour les entrepreneurs.

Vingt millions de nos concitoyens travaillent dans le secteur privé mais nous sommes pourtant toujours le pays où dominent les pires caricatures sur l’entreprise et ses dirigeants grands et petits: le commerçant est un être asocial, immoral, tout entier consacré à compter ses sous en en prenant le plus possible à un client qu’il vole sans scrupule et à des employés qu’il exploite sans vergogne.

D’où l’intérêt de Cauchemar en cuisine. Le principe de l’émission est simple: Philippe Etchebest, chef étoilé et meilleur ouvrier de France, vient en aide à un restaurant en difficulté. J’ai déjà eu l’occasion d’évoquer cette émission au travers d’un épisode particulièrement marquant, celui où un restaurateur s’enfonce jour après jour et refuse de voir la réalité.

Le déroulement de l’émission est immuable: Etchebest arrive, constate les dégâts, amène difficilement le restaurateur à prendre conscience de la situation et à identifier ce qui pêche. Après pleurs, cris et coups de gueule, le changement se produit enfin et tout se termine avec un happy ending. Bien sûr c’est une émission de télévision, donc on se doute qu’il y a des scènes coupées et un peu de jeu, mais on sait que même devant une caméra, le naturel revient au galop rapidement. Et c’est ce naturel qui est intéressant.

On ne triche pas avec la réalité

Bien qu’il soit une grande star, Etchebest témoigne un véritable amour pour les restaurateurs qu’il aide. Jamais il ne méprise la modestie de leur établissement et jamais il ne leur reproche un manque de technique. Il les prend au sérieux, les accueille dans la grande famille de la restauration, et les respecte. Il peut donc tout leur dire avec une franchise qui frise parfois la brutalité. D’ailleurs, sa philosophie semble se ramener à une chose: on ne triche pas avec la réalité, que ce soit la cuisine, les ingrédients, les clients, le service, la rentabilité, ou les investisseurs.

On ne triche pas avec le réel

Une scène saisissante illustre cette exigence de réalité: celle de ce jeune restaurateur qui conduit son établissement dans le mur par sa désinvolture. Un Etchebest grave lui rappelle que sa mère a hypothéqué sa maison pour le financer et qu’elle est sur le point de tout perdre. C’est une leçon éthique: Il rappelle le devoir de responsabilité de l’entrepreneur envers ses parties prenantes, et en particulier ceux qui le soutiennent et le financent, parfois en prenant d’énormes risques personnels. Là encore, une situation complexe, mais tellement courante, où se mêlent amour, famille et prise de risque financier.

Les sept vertus du commerce

Etchebest joue généralement sur trois angles: il provoque, parfois avec difficulté, une prise de conscience de la situation. Il apporte également une aide technique: comment organiser sa cuisine ou le service, comment remanier le menu pour qu’il soit plus facilement gérable et rentable, comment répartir les rôles au sein de l’équipe, etc. Mais surtout, il impose l’idée qu’aucun commerce ne peut fonctionner sans une éthique, et que celle-ci s’exprime au travers de sept vertus: La prudence (impératif pour le restaurant de trouver des clients, de les satisfaire et de gagner de l’argent pour perdurer), la tempérance (ne pas pousser trop fort sur les prix, ne pas tirer excessivement parti d’un avantage, ne pas arnaquer le client), justice (relation mutuellement profitable, ne pas faire de plats trop généreux car cela entraîne du gaspillage et une hausse des coûts), espoir (gain, retour du client le lendemain, réputation flatteuse dans le quartier), mais aussi amour (de son travail, de l’interaction dans la salle, de rendre les gens heureux le temps d’un repas), courage (se lever chaque matin et travailler dur), et foi, entendue comme quelque chose lié au transcendant, c’est à dire non réductible à un calcul de son intérêt (vocation, fierté des plats créés si simples soient-ils parfois, identité professionnelle, respect des pairs, reconnaissance sociale, avoir une cuisine impeccablement propre, même si le client ne la voit jamais).

Ce faisant, Etchebest, meilleur ouvrier de France, se fait le promoteur infatigable, de manière implicite mais implacable, des vertus bourgeoises énoncées par Adam Smith il y a deux-cents ans, dont la pratique est la condition indispensable à la réussite dans un métier où le travail est immédiatement soumis à la sanction du réel.

Cauchemar en cuisine et la dignité bourgeoise célébrée

Bien loin des caricatures dont notre pays se délecte sur les commerçants, artisans et entrepreneurs, Cauchemar en cuisine fait œuvre utile en montrant à sa façon, sans doute avec ses limites, mais avec amour, un monde commercial fascinant de richesse humaine et d’héroïsme quotidien qui possède par là-même une dignité propre dont nos concitoyens devraient avoir plus conscience.


Cet excellent article et beaucoup d’autres passionnants de Philippe Silberzahn sont à retrouver sur son site.

➕ Sur le même sujet on pourra lire ses articles précédents: 📄Et si la clé du changement c’était l’amour? La leçon de management de Philippe Etchebest; 📄Le marché comme une institution vivante: Pourquoi il faut réhabiliter Adam Smith; 📄Le rôle social du commerçant.

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