Rester calme au temps du Covid-19

Comment résister à la “surcharge informationnelle” ?

Lorsqu’une maladie virale rencontre une technologie virale, les effets de la « surcharge informationnelle » peuvent nous paralyser. Comment rester concentrés sur notre vie quotidienne et notre travail ? En nous réappropriant notre réalité immédiate.

Ces jours-ci, je commence mes journées par le décompte macabre des décès à travers le monde, que je découvre en avalant une tasse de café. Le reste de la matinée s’écoule dans un brouillard de messages WhatsApp et de notifications des sites d’info. Ce que j’ai appris aujourd’hui ? Les infections aux États-Unis sont désormais plus nombreuses qu’en Chine. Pendant ce temps, à Hollywood, Courtney Cox regarde Friends pour passer le temps pendant son confinement. Oh non, un de mes acteurs préférés est malade ! Aïe… Le prince Charles a été testé positif, lui aussi ? Je ne suis pas expert en médecine, mais si le futur roi d’Angleterre succombe, autant dire qu’on est tous f… – attendez, une minute, quelqu’un vient de m’envoyer une vidéo : une Galloise a obligé son mari et sa mère âgée à porter des strings en guise de masques de protection ! Mince, déjà midi et je n’ai écrit qu’un paragraphe de l’article sur lequel j’étais censé bosser ! Allez, un dernier coup d’œil aux infos… Hein, quoi, Boris Johnson ?!

Surcharge informationnelle

Le confinement était censé me protéger des distractions superflues et me permettre de m’adonner à mes passions ou des projets personnels. Mais en fermant mes portes et mes fenêtres alors que l’écran de mon ordinateur reste ouvert, on dirait que j’ai créé un effet d’aspiration : les titres d’articles et les flashes info m’attirent encore plus qu’avant. Dès le réveil, et jusque tard dans la nuit, mon téléphone s’illumine constamment pour m’abreuver d’informations ou de vidéos, sans parler du flux hystérique de vannes et d’émojis de mes proches et de mes amis, sur les fils de discussions où nous nous apportons un réconfort mutuel.

“Le coronavirus ne menace pas seulement nos corps, il contamine aussi nos esprits”

Comment tout cela m’affecte-t-il ? En premier lieu, cela me détourne de mon travail. Mais les conséquences de ce déluge d’informations peuvent être plus insidieuses. Je me sens sur les nerfs. Comme si j’étais coincé dans un sous-marin et que je scrutais compulsivement le radar tandis que l’ennemi se rapproche. Anxiety UK fait état d’une hausse considérable des appels à l’aide, de même que les services de télémédecine Betterhelp et Talkspace aux États-Unis : le coronavirus ne menace pas seulement nos corps, il contamine aussi nos esprits.

Vivre à l’âge viral

Certes, la peur n’est pas mauvaise en soi : elle est sans doute nécessaire pour nous empêcher de propager la maladie. C’est ce que le philosophe Hans Jonas appelle « l’heuristique de la peur » : « Nous savons seulement ce qui est en jeu, dès lors que nous savons que cela est en jeu » – ici, notre vie elle-même, qui passe avant tout le reste, même notre équilibre mental. Peut-être fallait-il que nous paniquions un peu afin de prendre les mesures nécessaires pour endiguer l’épidémie. Mais maintenant que vous travaillez de chez vous et que vous chantez Stayin’ Alive en vous lavant les mains dix fois par jour (le refrain dure dix-sept secondes, si vous respectez le tempo), tout en vérifiant régulièrement que vos voisins âgés ne manquent de rien… que faire de plus ?

“Notre technologie de l’information est aussi virale que la maladie dont elle se repaît : forme et contenu sont parfaitement en phase, avec pour conséquence possible un effet de paralysie”

Il n’y a rien d’« heuristique » dans les pensées qui nous assaillent jour et nuit et nous empêchent de nous concentrer sur notre travail ; pas plus que le suivi en temps réel des cas positifs ne nous aide à appréhender la situation. Au contraire, cet amas de données finit par créer un grand flou mental. Pire encore, il risque d’induire un stress considérable. Lorsque Reuteurs a demandé au neuropsychologue David Lewis d’enquêter sur les effets de la « surcharge informationnelle » auprès de 1 300 managers, celui-ci a découvert qu’un tiers d’entre eux souffrait de divers symptômes mentaux et physiques, dont des palpitations et un épuisement général. Or c’était en 1996 – avant l’avènement de Facebook, Twitter, Instagram et WhatsApp. On s’imagine sans trop de peine comment le « syndrôme de fatigue informationnelle » a évolué entretemps, et quel impact peut avoir l’épreuve que nous vivons actuellement.

Notre technologie de l’information est aussi virale que la maladie dont elle se repaît. L’une menace nos corps physiques, l’autre notre capacité à penser. Forme et contenu sont désormais parfaitement en phase, avec pour conséquence possible un effet paralysant. Pendant l’Occupation, on pouvait jardiner sans avoir constamment à l’esprit les horreurs de la guerre ; mais ce genre de quiétisme est étranger à la plupart des gens, aujourd’hui.  L’invitation de Voltaire à « cultiver son jardin » tombe dans l’oreille d’un sourd. Ou plutôt, elle est en compétition avec des centaines de térabytes d’autres options online. Alors, comment s’en sortir ?

La « dichotomie du contrôle »

Ces dernières semaines, nombre d’articles ont fait appel aux stoïciens, et pour une bonne raison. Cette école philosophique a émergé en une autre époque tumultueuse, l’horizon culturel des Grecs ayant explosé suite aux conquêtes d’Alexandre, les exposant eux aussi à une sorte de « surcharge informationnelle ». Elle se prolongea plus tard à Rome, exposée par l’esclave Épictète, cruellement traité par son maître, par Sénèque, lequel affrontait la tyrannie de Néron, et influença enfin Marc-Aurèle, dont l’Empire était attaqué de toutes parts. Que disaient-ils donc ?

Nous devons d’abord apprendre à distinguer ce qui dépend de nous et ce qui n’en dépend pas, explique Épictète dans le premier chapitre de ses Entretiens, et ensuite nous concentrer sur ce que nous pouvons contrôler. « Et toutes ces choses dont nous nous embarrassons, sont un poids qui nous entraîne au fond. Aussi, qu’il y ait impossibilité de mettre à la voile, et nous nous asseyons impatients, regardant continuellement quel est le vent qui souffle. »

“Il serait sage d’admettre que je n’ai aucun contrôle sur les choses que j’ai lues aujourd’hui, et que mon domaine de compétence se restreint à la surface de mon appartement”

Cela pourrait nous servir de ligne directrice pour assimiler l’actualité. Une partie des informations qui me parviennent m’aidera peut-être à me préparer à l’avenir, ou m’incitera à secourir d’autres gens, en donnant de l’argent à une association par exemple. Mais il serait sage d’admettre que je n’ai aucun contrôle sur la plupart des choses que j’ai lues aujourd’hui, et que mon domaine de compétence se restreint principalement à la surface de mon appartement. La vitesse à laquelle tourne le ventilateur, la façon dont l’air vient caresser mon front, la musique que je choisis d’écouter… En me réappropriant ces petites choses, je m’aperçois qu’elle ont un étrange pouvoir réparateur.

Au lieu d’engloutir un toast en regardant des experts spéculer sur les conséquences économiques de la pandémie, je peux choisir d’éteindre mon ordinateur et concentrer mon attention sur ma tartine : la griller pour qu’elle soit parfaitement à mon goût, affiner le ratio beurre/confiture, la découper en petites bouchées plus faciles à manger… Je peux aussi éteindre mon téléphone pour me couper du bruit extérieur. Fermer les yeux, inspirer profondément.

« Manifeste de la pause Kit Kat »

Bien sûr, le stoïcisme n’est pas la seule philosophie qui propose des techniques pour éliminer de l’esprit les pensées parasites. L’idée de « pleine conscience », tirée des traditions orientales comme le bouddhisme, pourrait se révéler tout aussi utile – de même que les pratiques qui lui sont associées, comme la méditation ou les exercices de respiration. Mais je pense que nous pouvons tous trouver nos propres moyens de nous déconnecter.

Je me suis donc forgé un « manifeste de la pause Kit Kat », comme dans la vieille publicité de cette friandise. Le principe ? Au moins une fois par jour, j’éteins tous mes appareils pendant une demi-heure minimum pour me concentrer sur mon environnement immédiat. J’ai aussi décidé de dédier un temps précis, chaque jour, aux dernières informations sur l’épidémie.

La propagation rapide du Covid-19 remet une fois de plus à l’honneur le diagnostic de Pascal, qui estimait que « tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre » (Pensées, 1670) – comme le prouve notre agitation présente en temps de confinement, où nous tournons en rond entre quatre murs. Peut-être est-il temps de le lire comme un défi. Et si, comme moi, vous êtes forcé de rester enfermé chez vous jusqu’à une date indéfinie, vous feriez sans doute aussi bien de tenter de le relever.

Un article de Jack Fereday publié le 3/4/2020 par Philonomist

Photo © Ani Kolleshi / Unsplash
Traduit de l’anglais par Maxime Berrée
 
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