Pour modifier les comportements, ordonner aux individus de changer est souvent contre-productif – ils détestent se voir dicter leur conduite. Voici donc trois méthodes pour réussir à leur faire adopter de nouvelles habitudes.
Le gouvernement et les organismes de santé publique se sont donné pour mission de changer les comportements – d’arriver à persuader les populations non seulement de pratiquer la distanciation sociale et de rester chez eux, mais aussi de le faire pendant des semaines, voire des mois. Sans surprise, presque tous s’en remettent à l’approche standard d’incitation au changement qui consiste à indiquer aux individus ce qu’ils doivent faire, notamment en leur intimant de respecter certaines règles précises : « Ne sortez pas », « Maintenez une distance de 2 mètres entre vous et les autres », « Lavez-vous les mains » et « Portez un masque ».
Si, jusqu’à présent, la plupart d’entre nous ont suivi ces recommandations, faire en sorte que cela dure est une autre affaire. Certains continuent de se rassembler (ou ont recommencé à le faire). D’autres encore manifestent pour exiger la réouverture de certaines entreprises plus tôt que ne le recommandent les experts.
Garder le contrôle
Donner des directives n’est pas ce qu’il y a de plus efficace pour induire un changement durable de comportement, car nous aimons tous avoir le sentiment d’être maîtres de nos choix. Pourquoi ai-je acheté ce produit, utilisé ce service ou fait telle chose ? Parce que je le voulais. Ainsi, lorsque d’autres essaient d’influer sur nos décisions, nous regimbons et repoussons toute tentative de persuasion. Nous retrouvons un ami, nous faisons des courses plus d’une fois par semaine, nous ne portons pas de masque… Nous évitons de faire ce qui nous aura été demandé parce que nous ne voulons pas avoir l’impression d’être contrôlé par autrui.
Par instinct, notre radar anti-persuasion nous met sur la défensive, de sorte que nous éludons le message ou, pire, contre-argumentons en évoquant toutes les raisons pour lesquelles ce qu’autrui a suggéré est une mauvaise idée. Certes, le gouvernement a dit de rester chez soi, mais il réagit de façon excessive. Peut-être que le virus fait des ravages à certains endroits dans le pays, mais je ne connais personne qui ait été infecté. De plus, beaucoup de ceux qui l’ont attrapé vont bien de toute façon, alors, quel est le problème ? Comme des contradicteurs novices trop zélés, ces individus mettent certains faits en doute et soulèvent des objections jusqu’à ce que le pouvoir de persuasion du message s’effondre.
Alors, si dire aux gens ce qu’ils doivent faire ne fonctionne pas, que faire ? Plutôt que d’essayer de les convaincre, il est souvent plus efficace de les amener à se persuader eux-mêmes. Voici trois façons d’y parvenir.
1. Mettez les écarts existants en lumière
Vous pouvez accroître le sentiment de liberté et de contrôle des individus en mettant en lumière le décalage qui existe entre leurs pensées et leurs actions, ou entre ce qu’ils pourraient recommander aux autres et ce qu’ils font eux-mêmes.
Prenez par exemple le fait de rester chez soi. Aux jeunes qui seraient tentés d’enfreindre cette consigne, demandez ce qu’ils suggéreraient à un grand-parent âgé ou à un frère ou une sœur cadet. Souhaiteraient-ils qu’ils sortent et interagissent avec des personnes potentiellement infectées ? Sinon, pourquoi pensent-ils qu’eux-mêmes peuvent le faire en toute sécurité ?
Les gens s’efforcent d’être cohérents avec eux-mêmes ; ils veulent que leur conduite soit en phase avec leurs opinions. Le fait de mettre une incohérence en évidence les encourage à y remédier.
En Thaïlande, les responsables de la santé publique ont ainsi utilisé cette approche dans le cadre d’une campagne antitabac. Plutôt que de dire aux fumeurs que leur pratique était néfaste, ils ont demandé à des enfants de les aborder en leur demandant du feu. Sans surprise, les fumeurs les ont éconduits. Beaucoup leur ont même fait la leçon sur les dangers du tabagisme. Mais, avant de s’en aller, les enfants ont tendu aux fumeurs une note qui disait : « Vous vous souciez de moi… alors pourquoi pas de vous ? » Au bas de cette note, il y avait un numéro vert que les fumeurs pouvaient appeler pour obtenir de l’aide. Les appels vers ce numéro ont bondi de plus de 60 % durant la campagne.
2. Posez des questions
Une autre façon de laisser s’exprimer le libre arbitre des individus est de leur poser des questions au lieu de recourir à des assertions. A être trop directs, les messages de santé publique tels que « Les aliments transformés font grossir », « Conduire en état d’ivresse est criminel » ou encore « Continuez à rester chez vous », peuvent être perçus comme péremptoires et mettre ceux auxquels on s’adresse sur la défensive. Le même contenu peut être amené sous forme de question : « Croyez-vous que les aliments transformés soient bons pour vous ? » Quiconque répond par la négative ne peut que se retrouver dans une situation délicate. Encouragée à exprimer le fond de sa pensée, la personne a dû prendre position – admettre que ces choses sont néfastes pour elle. Dès lors, justifier ses mauvais comportements devient plus difficile.
Poser des questions permet de modifier le rôle de l’auditeur. Plutôt que de trouver des arguments contraires ou de réfléchir à toutes les raisons de son désaccord, ce dernier est amené à examiner la réponse donnée et ses sentiments ou ses opinions sur le sujet. Ce changement de rôle renforce l’adhésion. Il encourage les individus à prendre un engagement vis-à-vis de la conclusion, étant donné que, s’ils rechignent effectivement à suivre l’initiative d’autrui, respecter ce qu’ils se dictent à eux-mêmes ne leur pose pas de problème. La réponse à la question n’est pas n’importe quelle réponse : c’est la leur, reflet de leurs pensées, de leurs croyances et de leurs préférences personnelles. Elle est donc plus susceptible qu’une autre de les pousser à agir.
Dans le cas de cette crise, des questions telles que « Craignez-vous que l’un de vos proches tombe malade ? » peuvent se révéler plus efficaces que des directives incitant les gens à respecter sur le long terme ou de manière intermittente les consignes sur la distanciation sociale et les pratiques d’hygiène.
3. Demandez moins
La troisième approche consiste à être moins exigeant.
Un médecin avait comme patient un routier obèse qui buvait 3 litres de soda par jour. Elle voulait le sommer d’arrêter immédiatement, mais comme elle savait que cela ne marcherait sans doute pas, elle a tenté une autre approche. Elle lui a demandé de réduire sa consommation à 2 litres par jour. Il a rouspété, mais, après quelques semaines, il y est parvenu. Lors de la visite suivante, elle l’a enjoint de n’en boire plus qu’un litre par jour. Finalement, après qu’il a réussi à passer cette nouvelle étape, elle lui a recommandé d’arrêter complètement les sodas. Le routier s’accorde toujours une canette de temps à autre, mais il a perdu plus de 11 kilos.
En temps de crise en particulier, les organismes de santé veulent que les choses changent du tout au tout immédiatement. Tout le monde devrait continuer à rester chez soi, seul, pour deux mois encore. Mais des demandes si contraignantes sont souvent rejetées. Elles vont tellement à l’encontre des comportements habituels qu’elles tombent dans ce que les scientifiques appellent « la zone de rejet » et sont ignorées.
Exiger moins, demander plus
Une meilleure approche consiste à mitiger sa demande initiale. Commencez par exiger moins, puis demandez plus. Cassez une requête conséquente en petits morceaux plus digestes. Face à la pandémie, les responsables gouvernementaux ont, d’une certaine façon, déjà adopté cette pratique en indiquant des dates initiales de fin de mesures de distanciation sociale qu’ils repoussent ensuite. Mais il existe d’autres façons d’agir, notamment quand les experts donnent leur feu vert à la levée de certaines restrictions – par exemple, celle concernant les petits rassemblements – tout en continuant à en interdire d’autres, telles que la tenue de concerts ou d’événements sportifs.
Qu’il s’agisse d’encourager les individus à maintenir une distanciation sociale, à ne faire leurs courses qu’une fois par semaine, à bien se laver les mains, à porter un masque ou, plus généralement, à changer de comportement, trop souvent, on ne recourt qu’à une seule approche : l’exhortation. L’idée étant que, à force de répéter certaines consignes ou de fournir des faits, des chiffres et des motifs, les gens finiront par adhérer aux mesures prises. Mais, comme le montrent les révoltes récentes contre certaines restrictions imposées liées à la Covid-19, cela ne fonctionne pas toujours sur le long terme, surtout si ces demandes ne sont pas limitées dans le temps.
A contrario, si nous prenons conscience de ce qui fait obstacle au changement, notamment la résistance systématique, et que nous déployons des tactiques permettant de les contourner, alors il sera toujours possible de faire changer les choses.
Un article de Jonah Berger à relire sur le site de HBR France