1. Le schéma tactique avant la liste des joueurs
Au football, l’entraîneur définit la tactique de jeu au regard de l’analyse de son adversaire et de son potentiel de jeu avant de définir la liste des joueurs titulaires et leur rôle sur le terrain. La composition d’une équipe, et encore moins les remplacements qu’il pourra éventuellement effectuer au cours du match ne déterminent pas la réussite, c’est sa capacité à faire évoluer le jeu de son équipe en fonction des circonstances du match, en apportant parfois quelques changements ciblés, qui conditionnera le résultat.
De même, en entreprise, il faut d’abord commencer par élaborer sa stratégie avant de dessiner son organigramme et recruter de nouveaux collaborateurs. C’est en fonction de sa stratégie qu’on renforcera un rôle, c’est en fonction de son positionnement qu’on accordera plus ou moins d’autonomie à certaines entités ou managers. C’est en fonction de son objectif qu’on définira le profil nécessaire à chaque fonction clé.
Comme dans le football, on ne transforme pas l’entreprise en changeant son organigramme ou en nommant de nouvelles personnes mais en adaptant sa stratégie et son management.
2. L’animation du jeu est plus importante que la disposition de l’équipe sur le terrain
Au football, ce n’est pas la disposition de l’équipe sur le terrain (ex : 4-4-2/3-5-2…) qui compte mais l’animation du jeu. En fonction des circonstances du match, les défenseurs peuvent être amenés à animer l’attaque et à marquer des buts. Les attaquants ne se limitent plus à leur fonction et jouent alors le rôle de première ligne de défense. Les mouvements des latéraux, les lignes du hors-jeu, les mouvements au cours des coups de pieds arrêtés, le pressing exercé par les milieux de terrain sont des éléments déterminants du jeu d’une équipe.
En entreprise, ce ne sont pas les attributions de fonctions et de tâches qui comptent mais plutôt la façon avec laquelle le manager va animer son équipe : répartition des rôles, interactions entre les entités et les personnes, organisation des flux informationnels internes… Comme au football, l’esprit de solidarité et les objectifs communs doivent prévaloir sur les attributions individuelles : le fait de « jouer » pour les autres et pas seulement dans le périmètre strict de sa fonction génère la différence de performance.
3. Être attentif aux déplacements des joueurs de l’équipe adverse
Au football, les joueurs ne doivent pas seulement regarder le ballon. Ils doivent être attentifs aux déplacements des joueurs de l’équipe adverse, leur permettant d’anticiper les actions de ce dernier, d’accélérer la récupération du ballon et ensuite, de mieux placer leurs attaques.
L’entreprise ne doit pas seulement se focaliser sur ses cibles et leurs attentes. Elle doit aussi observer les mouvements de ses concurrents, leurs offres, leurs innovations, leurs manières d’interagir avec le marché. Le regard excessif porté sur les processus internes aux dépens de la veille et l’analyse externe peut très vite mettre l’entreprise hors-jeu.
Comme dans le football, ne pas être attentif à ce que font les concurrents, c’est prendre du retard et perdre en réactivité. L’analyse produit (position du ballon sur le terrain) n’a aucun sens si elle n’est pas associée à une observation attentive de l’environnement et des concurrents (placement et mouvements des joueurs de l’équipe adversaire).
4. On définit le schéma tactique global et pas le style de jeu de chaque joueur
Dans le football, le coach compose son équipe, décide du schéma tactique et définit l’animation globale du jeu mais n’impose pas le style de jeu de chaque joueur afin de lui laisser un espace suffisant de créativité, l’occasion d’exprimer ses talents et la possibilité de s’adapter aux circonstances du match.
En entreprise, le manager qui agit avec des procédures strictes et des plans d’exécution rigides tue l’innovation et nuit à l’agilité. Le compromis entre le contrôle strict de l’exécution et la latitude donnée dans l’action doit dépendre de l’environnement et des conditions du marché, des capacités des membres de son équipe et des objectifs fixés
5. Être sur le terrain, aux côtés des joueurs
Au football, le coach est sur le terrain, présent avec ses joueurs. Il observe et analyse le match, ajuste sa tactique de jeu au fur et à mesure, encourage son équipe et donne ses consignes. Il ne reste pas dans les vestiaires à attendre qu’on vienne lui rendre compte du match à la mi-temps. Il ne reste pas, non plus, sur son canapé devant son écran à observer le jeu avec l’œil du réalisateur et les images qu’il a choisi de transmettre, analysant le match en se basant sur l’avis des commentateurs.
En entreprise, le manager qui œuvre uniquement à son bureau et ne revient pas souvent sur le terrain (l’usine, le contact avec les prospects et les clients, les concurrents, les salons professionnels…) se déconnecte vite de la réalité et ses décisions deviennent de plus en plus approximatives et biaisées par le regard et l’influence de son entourage. Le manager qui ne se place pas aux côtés de ses équipes pour leur apporter soutien (rôle de coach) et vision (rôle d’éclaireur) perd son « pouvoir d’influence ». Il n’est plus ni dans le « faire » (action) ni dans le « faire faire » (management).
Comme un coach de football, le manager doit, en plus du temps qu’il accorde à l’analyse, la réflexion et la décision, être présent sur le terrain aux côtés de son équipe. Dans certaines situations, il peut également, comme certains coachs (notamment au rugby), prendre de la hauteur en se plaçant dans les gradins. Il cherche ainsi la vision globale qui lui permet de compléter la vision terrain de ses adjoints et de son équipe.
6. Être un influenceur et un communiquant en plus d’être un tacticien
Au football, le coach annonce lui-même et directement la composition de l’équipe titulaire et explique le plan de jeu pendant la réunion avant match. Il est dans le bus qui mène vers le stade avec ses joueurs. À la mi-temps, il est aux vestiaires pour expliquer les ajustements et remotiver son équipe. C’est également lui qui, après le match, fait le débriefe et annonce le programme de travail de la semaine.
En entreprise, le manger ne doit pas seulement écrire la stratégie et le plan d’action (« planifier »). Son rôle est également de veiller à ce qu’ils soient bien assimilés par ceux qui les mettent en œuvre et que les rôles soient bien répartis dans une logique collaborative et de responsabilité (« organiser »). Il doit être impliqué dans toutes les phases de mise en œuvre pour influencer, motiver et ajuster (« diriger »). Ses observations sur le terrain ainsi que l’analyse des performances après l’action lui permettront de définir de nouvelles actions correctives qu’il devra partager avec son équipe (« contrôler et améliorer »).
Comme dans le football, on ne peut pas manager son équipe par des notes descendantes ou des instructions envoyées exclusivement par mail. Le manager doit conserver son double rôle d’analyse et de décision mais aussi de communication et de motivation. En entreprise, on a tendance à négliger voire oublier le deuxième volet.
7. La réussite du coach est dans la réussite de ses joueurs
Au football, on ne réussit pas si on n’a pas les joueurs qui savent gagner les matchs. On ne gagne pas des points grâce à la tactique pensée par le manager ou à la beauté du jeu de l’équipe mais grâce aux occasions transformées par les joueurs sur le terrain. C’est d’ailleurs le nom du joueur qui est crié par le public quand il y a but et pas celui de l’entraîneur… La réussite d’un coach réside donc dans la réussite de ses joueurs. Il est le premier supporter de ses meilleurs joueurs et travaille pour les rendre plus performants individuellement et collectivement. En situation d’échec, en revanche, l’entraîneur est « limogé » ; le joueur est « transféré »…
En entreprise, le manager doit penser à la réussite des membres de son équipe même si cette réussite se fera in fine ailleurs. Il les accompagne dans la réussite et permet le développement de leurs compétences et l’amélioration de leurs performances. Les managers obsédés par leur réussite individuelle s’entourent de personnes qui ne « leur font pas d’ombre », « divisent pour mieux régner »… C’est inimaginable dans le foot. Même s’il est plus difficile de manager un Ronaldo ou un Messi, c’est seulement avec de grands joueurs performants qu’on gagne des titres. Le coach doit ainsi tout faire pour leur permettre de devenir ballon d’Or à la fin de la saison.
Comme au football, le manager devrait parfois s’effacer pour mettre en avant l’exploit de ses joueurs et assumer la responsabilité d’un éventuel échec. Malheureusement, l’inverse se produit souvent en entreprise.
8. La prime de victoire concerne toute l’équipe et pas seulement les buteurs
Au football, les primes de victoire et de titres concernent tous les joueurs au regard de leur contribution (minutes jouées, nombre de victoires, nombre de titularisations…). Il n’existe donc pas de distinction en fonction du rôle dans l’équipe (buteurs, passeurs, défenseurs, gardien de but…).
En entreprise, on ne peut pas réserver le système d’incitation à la fonction commerciale au risque de négliger les autres dimensions de la performance (satisfaction, marque, qualité, environnement de travail, innovation, RSE…).
Comme au football, le système d’incitation doit combiner des éléments de performance collective et des éléments de performance individuelle sans distinction de rôle ou de fonction.
9. Créer l’attachement à la marque
Au football, le chiffre d’affaires « marque » des grandes équipes dépasse aujourd’hui le chiffre d’affaires « sport ». Les recettes issues de la vente de produits dérivés et du sponsoring ont supplanté les recettes provenant de la vente des billets de matchs et des droits de retransmission. Les équipes de football ont ainsi compris que leur capital majeur réside dans la marque et la développent et la soignent : communication 360°, clubs de supporteurs à travers le monde, outils de fidélisation, importance accordée à l’image véhiculée par les joueurs… Plusieurs équipes sont capables de remplir leur stade en l’absence de toute performance ou enjeu sportif. Ils ont réussi à créer un engagement exceptionnel autour de leur club qui se transmet de père en fils.
Il y a donc quelques leçons à tirer par les entreprises : comment créer de l’attachement à la marque ? Comment passionner ses clients et dépasser la simple relation commerciale ? Comment dépasser le sentiment de satisfaction pour arriver à la fierté ? Il y a là beaucoup de pratiques à prendre dans le football, et le sport en général.
10. On ne change pas une équipe qui gagne… une contre‑vérité !
Si c’est l’expression footballistique la plus utilisée, c’est pourtant celle qu’il ne faut appliquer en entreprise.
Au football, si on ne change pas une équipe qui gagne, elle finira un jour par perdre car les adversaires anticiperont sa tactique et sauront la déjouer. Une équipe devra donc s’adapter et évoluer en fonction de l’équipe qu’elle devra affronter.
De même, une entreprise que ne fait pas évoluer ses équipes sous prétexte que les résultats sont bons est une entreprise qui stagne et qui ne prend pas en compte le fait que ses concurrents et son environnement évoluent. C’est une entreprise qui oublie que le changement réside dans l’adaptabilité et l’anticipation.
Les challenges, les attentes et les objectifs évoluent et les équipes/les stratégies qui permettent d’y faire face ne peuvent pas être identiques. Il faut donc anticiper le changement de son équipe avant de finir par perdre !
Les limites de l’analogie
Il est important de signaler à la fin de cette réflexion les limites presque évidentes d’une telle analogie qui se veut simple et parlante. Le monde de l’entreprise avec sa complexité et ses enjeux économiques et humains multiples ne peut pas être réduit à un match de football limité dans le temps et l’espace avec 22 joueurs œuvrant dans un le cadre de règles fixes et imposées et un cycle répétitif. En entreprise, de multiples acteurs agissent souvent en même temps sur différents terrains et perspectives temps avec des règles et contextes évolutifs et complexes et des enjeux humains parfois considérables. Le jeu collectif devient objectivement plus compliqué…
PS : Merci à Bernard Belletante de m’avoir inspiré le point 10 qui me manquait, à Lucile Robinet pour sa relecture attentive et à Thierry Picq pour son conseil sur le dernier paragraphe.
Tawhid Chtioui, Professeur et dean d’emlyon business school Afrique, EM Lyon
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.