Résolution de problème : les trois conseils d’Edgar Allan Poe

Connaissez-vous La lettre volée, la célèbre nouvelle d’Edgar Allan Poe ? C’est un petit bijou d’intelligence qui en dit long sur le fonctionnement de l’esprit humain face aux problèmes qu’il rencontre.

Crédit : KoolShooters – Pexels

Alerte spoiler ! Le préfet de police se rend chez le détective Auguste Dupin pour obtenir son aide sur une affaire des plus « bizarres », selon le préfet « qui avait la manie d’appeler bizarres toutes les choses situées au-delà de sa compréhension, et qui vivait ainsi au milieu d’une immense légion de bizarreries ».

Une énigme apparemment insoluble

Le préfet recherche une lettre dérobée par un ministre indélicat, « D », à une dame de haut rang (la reine pour ne pas la nommer). Cette lettre la compromet et « D » exerce des pressions à son encontre. Le préfet et les services de police ont fouillé minutieusement pendant plusieurs semaines le domicile de « D ». Chaque pièce a été inspectée, chaque centimètre carré a été passé au microscope afin de déceler un indice laissant deviner une cachette. Les maisons voisines ont subi le même sort.

Cette lettre est utile à « D » s’il peut la produire rapidement, sinon elle demeure sans valeur. Celle-ci doit toujours se trouver à sa portée. On sait que « D » ne porte pas la lettre sur lui : elle doit donc forcément être localisée à son domicile. Mais l’objet reste néanmoins introuvable malgré les investigations répétées et poussées des services de police. Une très forte récompense est promise à celui qui lèvera le voile sur ce mystère.

Quelques jours plus tard, alors que la police est toujours bredouille, Auguste Dupin a trouvé la lettre volée qu’il a dérobée à son tour à « D ». Il la remet contre une forte somme au préfet. La lettre volée se trouvait tout simplement dans un porte-vue bien en évidence au-dessus de la cheminée du bureau de « D ». Elle se trouvait dans une autre enveloppe, avec un autre cachet, avec une autre adresse rédigée avec une autre écriture. Mais la lettre volée restait exhibée, offerte aux regards de tous.

Se libérer d’une chaîne de préjugés

Comment Dupin a-t-il réussi le prodige de découvrir ce que les limiers les plus perspicaces de Paris cherchaient désespérément depuis des lustres ?

L’intérêt majeur de cette nouvelle de Poe tient à l’élucidation des motifs qui ont conduit la police à échouer dans son exploration méticuleuse des lieux.

1 – Les évidences qui maillent nos raisonnements sont rarement interrogées. Une lettre dérobée et activement recherchée est forcément dissimulée. Un objet dissimulé ne peut être affiché de manière ostentatoire.

2 – Les meilleures méthodes d’investigation sont inefficaces si elles ne tiennent pas compte de la spécificité du contexte et des acteurs impliqués. Chaque affaire est une affaire nouvelle et non une affaire de plus.

© Can Stock Photo / Marusya_Chaika

3 – Il faut s’efforcer d’apprécier précisément et justement son adversaire, sans préjugés. Pour le préfet, le ministre « D » a une réputation de poète, et pour lui tous les fous sont poètes. Il en infère faussement que tous les poètes sont fous, et donc que son adversaire l’est également. Le préfet méjuge « D » et le sous-estime. Il est convaincu que les investigations basées sur la logique (« sa » logique en fait) aboutiront face à un accusé fantasque. Si les investigations échouent toujours et encore, c’est parce que la lettre est trop bien cachée. Mais à un moment, à court d’idées et ne pouvant aller guère plus loin, le préfet se trouve contraint de faire appel à Dupin en désespoir de cause. Le préfet aurait dû changer de logique plutôt que d’intensifier ses efforts dans la même direction. Pour prendre le dessus sur un adversaire, il importe non pas de le snober, mais de s’identifier à lui.

Questionner les évidences, voir en l’autre un semblable dont le fonctionnement s’avère néanmoins possiblement très différent du mien, considérer derrière les similarités apparentes chaque situation comme singulière, trouver les ressources intellectuelles pour savoir changer de logique quand on s’enferre dans l’impuissance ou l’erreur, voilà autant d’enseignements dont nous pouvons tirer de la lecture de cette merveilleuse nouvelle d’Edgar Allan Poe. Enseignements qu’il faut avoir à l’esprit quand par exemple on dirige une organisation et manage une équipe.

Un article de l’excellent Lionel Meneghin a retrouver sur le site toujours intéressant de dirigeant.fr

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