Tomber sept fois…

Tout professionnel de la relation d’aide connait ce sentiment de désarroi, de découragement, de déception, suscité lorsqu’advient une rechute. Pour le client, comme pour le praticien lui-même, c’est l’impression de revenir en arrière, la remise en question des progrès, la peur de ne jamais en sortir, parfois aussi la culpabilité et même la honte… L’horizon se bouche, le doute s’installe, le désespoir envahit tout le champ de l’attention… et pourtant… la rechute est aussi, bien souvent, riche en enseignements et en opportunités. On peut même dire qu’elle fait partie intégrante du processus de changement, qui n’est quasiment jamais un processus linéaire. 

Un contexte de rechute fait ainsi émerger les différences qui font, ou non, une différence pour la personne. Si de nombreuses personnes vivent actuellement des pics d’anxiété ou des moments de déprime importants, les indices de contexte déclenchants diffèrent pour chacune et chacun, Qu’est-ce qui fait dire que ça va de nouveau mal ? Est-ce le confinement ? La fermeture des frontières ? Le nombre de morts ? Le pourcentage de malades hospitalisés ? Le nombre total de cas ? Le nombre de cas rapporté à la population de son pays ? Le nombre de personnes que je connais qui sont directement touchées par la maladie ? Les annonces officielles ? L’obligation de porter un masque ? La  peur de perdre son emploi ? Le risque de nouvelles vacances annulées ? L’impossibilité de revoir ses petits-enfants ?

Le contexte Covid-19 est ainsi fait de toutes ces petites et grandes différences qui font, ou non, une différence dans la vie de chacune et chacun. C’est pourquoi chaque personne traverse les différents épisodes de cette pandémie de façon unique et personnelle. Pour certains, cette deuxième vague s’apparente effectivement à une rechute, pour d’autres, elles était prévue, il fallait s’y attendre. Certains vivent le retour au confinement comme un désastre, d’autres l’ont souhaité et s’en réjouissent, plus ou moins ouvertement. La rechute permet ainsi de clarifier en quoi ce qui arrive est bel et bien un problème pour la personne, tout en sachant que bien souvent, ce qui posait problème lors d’une précédente « vague », peut être maintenant vécu comme tout à fait acceptable, ou inversement, ce qui avait été toléré la première fois devient tout bonnement insupportable lorsqu’il se présente à nouveau. Car nos perceptions changent, certains écarts deviennent progressivement des normes et d’autres, au contraire, sont susceptibles d’atteindre pour les uns ou pour les autres le seuil de l’intolérable.

Il arrive en outre souvent que l’apparente résolution initiale d’un problème n’ait été due qu’à des facteurs contextuels transitoires, comme par exemple un changement de saison, une bonne nouvelle inattendue, l’absence temporaire de la personne avec qui le problème se manifeste… et que ce qui alimentait le problème soit toujours susceptible de se réactiver dès que le contexte change à nouveau. Dans ces situations de résolution illusoires, la rechute s’avère très précieuse pour affiner notre compréhension des facteurs qui contribuent au maintien ou à l’aggravation du problème.

Cette question de l’attribution du changement est essentielle, car sans elle, aucune amélioration durable n’est envisageable. En quoi ce que nous faisons, disons, pensons, est-il susceptible d’aggraver nos problèmes? La question est essentielle, car il est tout aussi désastreux de continuer à alimenter activement un problème par nos tentatives de solution aggravantes sans nous en rendre compte que de nous acharner à essayer de résoudre un problème sur lequel nous n’avons aucune prise. Le contexte actuel nous rappelle cruellement le principe selon lequel une partie d’un système ne peux jamais prétendre contrôler l’ensemble de ce système.

La rechute est ainsi un moment qui invite à la réflexion de savoir s’il faut plutôt essayer de revoir nos stratégies, changer notre point de vue sur les mécanismes de fonctionnement du problème, arrêter de faire « plus de la même chose », ou bien, au contraire, persévérer dans la stratégie engagée, et tout faire pour tenir dans la durée. Doit-on se remettre en question, douter, ou bien plutôt persister et insister? Faut-il se résigner, essayer d’accepter, ou plutôt lutter et se mobiliser? Les solutions qui semblent avoir fonctionné la dernière fois fonctionneront-elles cette fois-ci, ou le contexte a-t-il changé? S’agit-il exactement du même problème, ou le problème a-t-il évolué?

Aborder la rechute comme une étape possible et susceptible de servir de point d’appui pour consolider le processus de changement ou pour se réorienter, permet d’éviter d’en faire un point final. Alors que nous écrivons ces lignes, nous revient en mémoire le poème populaire japonais qui accompagne les poupées Daruma, ces poupées traditionnelles à l’effigie du Bodhidharma, évoquées par Roland Barthes, et qui retrouvent toujours leur aplomb grâce à une quille intérieure :

 » Telle est la vie
  Tomber sept fois
  Et se relever huit. « 

Un article de l’IGB que vous pouvez découvrir ici

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