Transformer la réalité à la manière des leaders de légende

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Steve Jobs a atteint un statut légendaire, non seulement grâce à ses innovations en informatique, mais aussi dans la musique, le cinéma, les télécommunications, l’animation et l’édition. Sa réussite est souvent attribuée à sa capacité à « déformer » la réalité, un terme utilisé par Bud Tribble, aujourd’hui directeur des technologies logiciels chez Apple, qui disait qu’avec Steve Jobs « la réalité devient malléable. Il peut faire croire à n’importe qui à peu près n’importe quoi. » Andy Hertzfeld, un des membres de l’équipe de développement du projet Macintosh durant les années 1980, affirmait que sa capacité à se convaincre et à convaincre les autres résultait d’un mélange « de charme, de charisme, de bravade, d’hyperbole, de marketing, d’apaisement et de persévérance ».

Pour les leaders souhaitant imiter Steve Jobs, cette explication n’est pas très utile. Si l’innovation n’était motivée que par le charisme, de nombreux patrons de petites entreprises auraient déjà disrupté notre monde. Steve Jobs lui-même donnait une autre explication de son succès dans une interview de 1994 accordée à la Silicon Valley Historical Association : « Lorsque vous grandissez, vous avez tendance à réaliser que le monde est ce qu’il est et que votre vie consiste simplement à vivre votre vie à l’intérieur du monde… La vie peut être beaucoup plus large une fois que vous découvrez un simple fait : tout ce que vous appelez la vie autour de vous a été composé par des gens qui n’étaient pas plus intelligents que vous. Et vous pouvez la changer, vous pouvez l’influencer… Une fois que vous aurez appris cela, vous ne serez plus jamais le même. »

Steve Jobs, et il n’était pas le seul, avait découvert que la vie était « malléable », un constat qui lui a permis de devenir un sculpteur de la réalité : « Lorsque vous comprenez que, lorsque vous poussez d’un côté, quelque chose va sortir de l’autre côté… C’est la chose la plus important qui soit. »

Tordre la réalité

La distorsion de la réalité est généralement associée à l’étude des personnes souffrant de schizophrénie, de délires ou d’hallucinations. Elle a néanmoins reconnu que la capacité d’un être humain à « vivre dans une autre réalité » n’est pas associée directement aux symptômes négatifs de la schizophrénie tels que « la désorganisation conceptuelle » ou « un comportement bizarre ». Certains travaux de recherche indiquent que nous pouvons être des individus fonctionnels et pourtant nous projeter dans l’expérience de vivre des réalités futures, des réalités qui ne sont pas encore réalisées. Comme le disait Coco Chanel : « Ma vie ne me plaisait pas, alors j’ai créé ma vie. »

Ce qui explique cette capacité, d’un point de vue psychologique, est l’absence, chez ces innovateurs, de croyances auto-limitantes qui les auraient empêchés d’agir. Ces croyances auto-limitantes sont le contraire des pensées motivantes, elles consistent à penser qu’on est incapable de mener une action ou d’atteindre un objectif et nous empêchent ainsi d’agir. Les innovateurs qui ont changé notre façon de vivre sont restés motivés et ont continué à croire en eux alors même que les circonstances leur envoyaient un message contraire. Walt Disney, par exemple, a été licencié « parce qu’il manquait d’imagination et n’avait pas de bonnes idées ». S’il avait accepté cette réalité, le monde du divertissement serait aujourd’hui très différent. Mais Walt Disney n’a pas accepté la réalité de quelqu’un d’autre et a plutôt utilisé son imagination et sa capacité à créer des mondes fantastiques comme principal moteur de réussite.

Les chercheurs en sciences cognitives se sont interrogés sur la manière d’identifier ces croyances et d’aider les gens à les surmonter. Par exemple, des travaux de recherche en cours utilisent une application configurée avec des stratégies métacognitives basées sur les techniques de restructuration cognitive (CR) et de thérapie d’engagement d’acceptation (ACT). Ces techniques consistent à aider les individus à exprimer les pensées et images automatiques qui sont ancrées dans leur cerveau mais qui expliquent de façon incorrecte ce qu’ils observent. Identifier ces pensées « dysfonctionnelles » permet de créer de nouvelles pensées alternatives qui permettront de répondre autrement aux stimuli en évitant les émotions qui empêchent d’agir, comme la peur, la crainte ou la méfiance.

Créer et communiquer une nouvelle réalité

La science délivre des conseils pratiques pour ceux qui souhaitent imiter Steve Jobs, Coco Chanel et Walt Disney. D’abord, se concentrer sur ce que les psychologues appellent des objectifs supérieurs. Il s’agit d’un moyen très puissant de créer une nouvelle réalité. Les objectifs supérieurs sont « des conceptualisations idéalisées de soi-même, de ses relations ou de la société dont on fait partie » et, par conséquent, ils sont profondément liés aux valeurs et au sens que les individus donnent à la vie. Fixer de nouveaux objectifs qui correspondent à vos ambitions les plus personnelles et travailler pour combattre toutes les croyances qui vont à l’encontre de leur réalisation peut être une méthode puissante pour parvenir à les atteindre. 

Le deuxième conseil est relatif à la capacité à communiquer une nouvelle réalité aux autres. Au lieu d’utiliser un vocabulaire descriptif, des innovateurs comme Walt Disney et Steve Jobs privilégient un vocabulaire créatif : pour décrire l’iPod, Steve Jobs utilisait l’expression « mille chansons dans votre poche », tandis que Walt Disney disait que « Disneyland est un spectacle », que Thomas Edison prédisait l’énergie solaire en affirmant « qu’un jour, un homme inventera un moyen de concentrer et de stocker le soleil » et que Bill Gates façonnait un futur dans lequel chaque foyer serait doté d’un ordinateur. Ce style simple et direct aide à décrire avec précision ce que sont ou ce que font les innovations et permet ainsi au public de facilement se projeter dans l’avenir.

Plus important encore : accompagner cette description de dessins et d’images. Walt Disney passait ainsi des jours à dessiner des croquis de Disneyland et payait même des artistes pour le faire. Léonard de Vinci et Thomas Edison dessinaient leurs inventions avec une perspective dynamique permettant aux autres de les visualiser. Les croquis permettent aussi d’illustrer une réalité plus vaste qui, pour Thomas Edison, par exemple, comprenait un système d’énergie électrique complet alimentant de grandes villes (une idée qu’il a concrétisé pour la première fois dans le quartier de Wall Street, à New York, en 1882).

Communiquer efficacement une nouvelle réalité change la réalité des autres. Steve Jobs était célèbre pour le faire de telle manière que, si les portes semblaient fermées, elles s’ouvraient. Le fondateur de Netflix Reed Hastings aurait, dit-on, « prédit » le streaming vidéo. Mais il a surtout convaincu son équipe et ses partenaires technologiques de créer sa réalité. En 2002, trois ans avant l’apparition de YouTube et avec un réseau Internet encore très primitif, Reed Hastings aurait déclaré : « Nous continuons de surveiller les technologies de diffusion supplémentaires et, le cas échéant, nous pensons que nous sommes bien placés pour offrir une distribution digitale à nos abonnés. » Reed Hastings était non seulement capable d’envisager l’avenir, mais il était aussi capable de le communiquer de manière à ce que ses proches adoptent son point de vue, ce qui permet le démarrage d’un mouvement. Une communication efficace entraîne une autonomisation : elle donne aux autres la conviction dont ils ont besoin pour se sentir à l’aise avec le défi à relever.

Transformer la réalité requiert le développement des plusieurs compétences managériales et la pratique d’une nouvelle façon de penser. Une bonne manière de commencer consiste à vous trouver, ainsi que vos équipes, en capacité de trouver des solutions. Posez-vous la question suivante : « Si je me savais capable de réussir dans cette situation, comment cela se passerait-il ? » Ensuite, encouragez le sentiment d’autonomie de vos collaborateurs, afin de les rendre conscients de la puissance de leurs compétences. L’autonomisation demande beaucoup de confiance et de patience, mais aussi la capacité de s’entourer de personnes talentueuses. Une fois cette autonomisation mise en place, les collaborateurs ressentiront une nouvelle énergie favorisant leur motivation et leur engagement. Et quand ils commencent à cocréer la nouvelle réalité avec vous, un tout nouveau monde s’ouvre à vous.

Un article de Gregory Unruh & Fernanda Arreola paru le sur le site de HBR France

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