Discours à la loupe : Quand Bill Gates nous mettait en garde contre le Covid-19

En 2015, Bill Gates donne un discours de 8 minutes. Son intitulé : “La prochaine épidémie ? Nous ne sommes pas prêts.”

Après le visionnage de son intervention lors d’une conférence TED, qui a ressurgi des profondeurs d’internet ces derniers jours, la réponse ne fait aucun doute : oui… et même dans les moindres détails !

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(Capture d’écran vidéo TED2015)

Depuis plusieurs décennies, l’organisation à but non lucratif nord-américaine The Sapling foundation invite experts et passionnés à monter sur scène pour prendre la parole pendant un temps court, 18 minutes maximum. Ce jour-là, l’ancien PDG de Microsoft et fondateur de la fondation philanthropique Bill et Melinda Gates, est venu s’exprimer sur un sujet intitulé : “La prochaine épidémie ? Nous ne sommes pas prêts.” Le titre annonce d’emblée la couleur.

Sur la vidéo, l’orateur entre en scène en poussant un baril qui, dans son enfance, servait à stocker des denrées alimentaires en cas de guerre nucléaire. Cet objet permet capter immédiatement l’attention de son audience et de piquer notre curiosité. Car si aujourd’hui la crise sanitaire provoquée par le Covid-19 donne vie aux propos du milliardaire américain, il s’agissait encore à l’époque d’une hypothèse, probable mais non réelle.

Marquer les esprits

Et pour sensibiliser le plus grand nombre, Bill Gates sait qu’il doit être concret. Il utilise pour cela une comparaison à même de marquer les esprits en faisant référence à une réalité connue de tous (soit vécue soit abordée dans les cours d’histoire) : “Quand j’étais gamin, la catastrophe dont on avait le plus peur était une guerre nucléaire (…). Mais aujourd’hui, le plus grand risque de catastrophe mondiale ne ressemble pas à ça. Il ressemble à ça ».

Simultanément, sur l’écran situé derrière lui, apparaît alors une modélisation du virus H1N1. Ce parallèle entre, d’un côté, une guerre nucléaire, et de l’autre, une pandémie démontre, en peu de mots, pourquoi les virus contagieux représentent les nouvelles grandes menaces qui pèsent sur l’humanité.

Des phrases courtes qui claquent comme des slogans

D’ailleurs, nous reconnaissons ici la rhétorique guerrière adoptée par Emmanuel Macron et qui fait aujourd’hui débat. Bill Gates a quant à lui choisi son camp et ne transige pas : “Si quelque chose tue plus de 10 millions de gens dans les prochaines décennies, ça sera probablement un virus hautement contagieux plutôt qu’une guerre.” L’une des grandes qualités de son intervention réside dans l’emploi de phrases claires, nettes et précises. Courtes, elles sont plus facilement mémorisables comme celle qui évoque les conflits internationaux à venir : “Pas des missiles, mais des microbes.” Elle résonne comme un slogan.

A travers cette prise de parole, Bill Gates souhaite ainsi faire prendre conscience à l’audience du danger qui pourrait nous affecter dans les années à venir (et qui s’est donc bel et bien réalisé) mais également favoriser le passage à l’action. Pour cela, il structure ses idées en suivant un plan en trois parties : Problèmes (1) – Solutions (2) – Actions à mener (3).

L’épidémie d’Ebola, comme point d’ancrage de sa démonstration

Il commence par pointer du doigt toutes les défaillances et manquements actuels en revenant sur l’épidémie Ebola (qui se terminait tout juste à cette époque). A titre d’exemple, il souligne avec force qu’aucune équipe médicale n’était prête à intervenir pour endiguer la propagation du virus. Puis, l’orateur précise les raisons pour lesquelles Ebola ne s’est pas propagé à l’échelle mondiale… une façon habile de réaliser la transition vers les facteurs à surveiller pour éviter qu’une telle crise ne se reproduise.

Et parmi ces derniers, Bill Gates rappelle que le virus n’a pas touché de zones urbaines tout en précisant que la prochaine fois, nous ne serions peut-être pas aussi chanceux et pourrions faire face à un virus “où les gens infectés se sentent en bonne santé et prennent l’avion ou vont au supermarché.” C’est ce que l’on appelle un discours prophétique !

Un problème, des solutions

Une fois les dangers explicités, Bill Gates détaille les solutions possibles. Il précise par exemple que l’“on a des portables pour recevoir et diffuser l’information au public. On a des cartes satellites où l’on peut voir les gens et où ils vont.” Mais pour éviter que ces propositions ne soient que des paroles en l’air, il termine sa prise de parole en détaillant les actions qu’il faudrait mettre en place pour éviter des millions de morts et des investissements financiers colossaux.

Par exemple, il milite pour la constitution d’équipes de santé prêtes à intervenir, tels des soldats au sein d’armées étatiques et intégrés dans des organismes internationaux comme l’OTAN (et, à nouveau, notez la réapparition du champ lexical de la guerre). Malheureusement, force est de constater que l’alerte formulée par Bill Gates ne se sera pas traduite en actes. Il n’était d’ailleurs pas le seul à partager ce message comme le montrent d’autres rapports – par exemple celui rédigé par la CIA dès 2009 ! – qui insistaient sur les risques de pandémies mondiales à venir.

La « crédibilité interne »

Cette prise de parole le prouve, Bill Gates est un orateur aguerri. Très à l’aise, il fait preuve d’une grande pédagogie, notamment avec l’emploi de mots simples. L’utilisation de diapositives facilitent d’ailleurs la compréhension en permettant de visualiser aisément les phénomènes décrits. L’exemple concret d’Ebola, qu’il connaît bien en raison de ses actions humanitaires en Afrique, confère à son propos ce que les chercheurs Chip et Dan Heath appellent la « crédibilité interne ». Cette dernière repose notamment sur les détails que l’orateur est capable de partager : plus ils sont nombreux et précis, plus l’image renvoyée par l’orateur est celle d’un expert.

Et justement, pour créer ce lien de confiance avec ses interlocuteurs, Bill Gates adopte une gestuelle dynamique avec ses mains largement au-dessus de sa taille pour faire vivre son argumentation. Enfin, il se tient bien droit, les deux pieds ancrés au sol, et arbore un sourire qui donne envie de l’écouter tout au long des 8 minutes qu’il passe sur scène.

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