Claude Onesta : « Je n’ai pas les clefs de la réussite, mais je sais ce qui fait perdre »

Claude Onesta, manager general de l’equipe de France de handball – HAMILTON/REA pour Les Echos

Masterclass / Quelques jours après une conférence à l’Université hommes-entreprise du Ceca, à Bordeaux, Claude Onesta était, la semaine dernière, à l’Université d’été du Medef. Désormais, manager général de l’équipe de France masculine de handball, l’ancien entraîneur réaffirme son intérêt pour un monde de l’entreprise en pleine transformation qu’il analyse avec passion et finement.

Votre intérêt pour le milieu de l’entreprise va croissant, songez-vous à quitter vos fonctions de manager général de l’équipe de France de handball ?

Oui, dans très peu de temps. Je ressens le besoin de me remobiliser et de me rendre utile sur des projets d’utilité générale. Je souhaite aussi accompagner des entreprises dans leur logique de transformation, car leur monde me passionne.

Quel savoir envisagez-vous de transmettre aux entreprises ? 

Dans le laboratoire vivant d’entraîneur de handball qui a été le mien pendant dix ans, j’ai beaucoup appris. Par exemple, à savoir dépasser et transcender un problème, qui se pose aussi à un concurrent, ce qui peut être un enseignement utile au monde de l’entreprise. J’ai été gâté : mon parcours a été exceptionnel voire quasi irrationnel. J’ai reçu plus que je n’aurais jamais espéré (neuf titres en dix ans dont quadruple champion du monde, ndlr). Je n’ai pas découvert les clefs de la réussite, mais je sais ce qui fait perdre. Dans sa logique binaire – on gagne, on perd -, le sport ne subit pas les problèmes mais saisit les difficultés pour ensuite les transformer en opportunités. A mes yeux, les entreprises s’intéressent trop au comment, pas assez au pourquoi. Elles devraient se demander pourquoi elles se reposent  autant sur la technologie pour améliorer leurs systèmes et oublient l’humain.

Vous incitez aussi les dirigeants à préparer leur succession… 

J’ai organisé la mienne. Puis, je me suis retrouvé dans la posture de l’éducateur qui termine sa mission et s’éloigne de l’élève qui n’a plus besoin de lui. Ma présence était une caution et une protection, mais elle ne permettait pas à la relève de bien prendre la mesure de ses choix et d’asseoir son leadership ainsi que son autonomie. J’ai fini par le comprendre parce que j’ai un moi apaisé. Préparer sa succession est une étape à bien gérer et je le dis aux dirigeants que je rencontre : votre successseur a besoin de votre éloignement pour pleinement s’exprimer.

Sublimer les potentiels et la coopération, quel DRH y pense lors d’un recrutement ?

Et comment réagissent-ils ? 

Ils m’entendent, mais pour beaucoup, c’est un drame. Ils ont construit une belle entreprise ou une stratégie hors pair, mais quand l’heure vient de passer le flambeau, c’est pour eux une souffrance physique. Comment l’entreprise pourrait-elle réussir sans eux ? Plutôt que de la voir leur survivre, certains dirigeants sont capables de tuer l’entreprise qui a pourtant été leur raison d’être.  Or il leur faudrait non seulement accepter que l’entreprise puisse réussir sans eux mais aussi autrement ! Cela requiert un gros travail sur soi et, là encore, une capacité à interroger le pourquoi.

Quelle représentation vous faites-vous du pouvoir ? 

Pas celle qui consiste à l’affirmer tous les jours afin que chacun comprenne que vous êtes le chef. Quand on a du pouvoir il faut savoir quoi en faire et pour quels résultats. Avoir l’obsession de l’amélioration du résultat est un impératif qui requiert l’implication de tous. Entraîneur et sélectionneur, je décidais mais, absent du terrain, je n’étais pas le plus important. Mon rôle consistait à faire cohabiter des gens singuliers afin d’accroître, par la collégialité, l’efficacité d’un projet. C’est aussi celui d’un manager ou dirigeant d’entreprise.

Une bonne équipe est celle qui est bien construite, dites-vous… 

Quand je sélectionnais quinze joueurs, je ne sélectionnais pas les quinze meilleurs au plan individuel. Mon objectif était d’identifier et de sublimer les potentiels, de savoir utiliser ce que le match induit et de composer le groupe susceptible de générer la meilleure coopération possible. Ce principe du milieu du sport pourrait inspirer nombre d’entreprises. Mais quel DRH pense à cela lors d’un recrutement ?

Comment motivez-vous les gens ?, me demande-t-on souvent. C’est la question la plus bête du monde !

Qu’est-il essentiel de comprendre dans une dynamique de groupe ?

Comment est prise en compte la parole d’un leader ? Quels suiveurs lui sont associés ? S’agit-il d’un chef avec un groupe uniforme de soldats fidèles ou bien existe-t-il un sous-groupe de potentiels dissidents qui attendent leur heure ? Quelle proportion de bienveillants – qui créent du lien et expriment leur empathie – comporte l’organisation ? Aussi sublimé soit-il, un leader sans suiveur ne présente aucun intérêt  et inversement. Autre point essentiel : mettre en concurrence deux super bons très charismatiques ne vaut que pour des épisodes très courts de performance. A la longue, ils éteignent l’énergie de tous les autres, qui ne verront plus de raisons valables de coopérer,  et chercheront plutôt à se mettre à l’abri, à fuir ou pire encore – frustrés ou humiliés – à tirer profit de l’échec de l’entreprise !

Comment bien orchestrer le collectif en définitive ? 

En comprenant ceci : tout le monde n’aspire pas à assumer des responsabilités de la même façon, mais tout le monde veut être reconnu. Le système directif ou obéissant ne mène qu’à la déresponsabilisation. Comment motivez-vous les gens ?, me demande-t-on souvent. C’est la question la plus bête du monde ! Que des gens pensent, sans concertation, avoir le pouvoir de décider pour les autres m’ébahit. Il n’est pas question de se perdre dans une pseudo-démocratie, qui autorise tout le monde à faire semblant de faire. Mais l’autorité, on l’exerce à bon escient. Associer les collaborateurs à la prise de décision et à la construction du projet les amène à se responsabiliser. On est participatif non pas parce qu’on est « gentil », mais parce qu’on se veut plus efficace. Croyez-moi, si tous participent à la construction de l’édifice, ils n’auront pas envie de détruire la maison commune ! La meilleure façon de motiver les gens est de ne pas les désenchanter.

Un article de Muriel JASOR paru le 01/09/2017 sur le site LES ECHOS Executive 

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